Dans les Chantiers n°196 du mois d’avril 2023, notre collègue Pierre Dolain nous conviait à réfléchir sur cette question des priorités des opérations en nous disant que c’était un faux problème.
Oh combien il a raison : inutile de s’encombrer de priorité entre les opérations ! Pourtant on évoque souvent la priorité de certaines opérations sur d’autres opérations, ce qui doit sûrement laisser perplexe plus d’un élève…
Mais aussi l’historien des mathématiques. Et il serait intéressant de connaître depuis quand cette notion de priorité est apparue dans l’enseignement des mathématiques.
Michel Rousselet [1] a proposé d’analyser une expression algébrique en repérant des blocs.
Un bloc désigne une unité syntaxique qui constitue les expressions algébriques : à l’exception éventuellement du premier, un bloc est formé d’un signe $+$ ou $-$ suivi d’un monôme et chaque $+$ et chaque $-$ indique le début d’un bloc.
Donnons un exemple avec l’expression $5a-2×3-3a+7b+a+1$ : il y a 6 blocs qui sont $5a$, $-2×3$, $-3a$, $+7b$, $+a$ et $+1$.
Remarque : le bloc $5a$, qui est en premier, peut s’écrire aussi $+5a$ forme qui permettra de le déplacer (voir ci-dessous la 2e règle de calcul).
Cette notion de bloc facilite l’acquisition des règles de calcul d’une expression algébrique, qu’elle comporte ou non des variables. Calculer une expression est une succession de simplifications des blocs de cette expression, ainsi que de la réduction du nombre de blocs.
Parmi les règles à suivre, on a les suivantes :
- On peut simplifier l’écriture d’un bloc quand cela est possible.
- On peut changer la place des blocs dans une expression algébrique.
- On peut réécrire l’opposé d’une somme algébrique en remplaçant chaque bloc par son opposé.
- On peut multiplier une somme algébrique par une autre en multipliant chaque bloc de la première par chaque bloc de la deuxième.
Donnons un exemple pour la 1re règle avec le bloc $-2×3$ que l’on peut simplifier pour obtenir le bloc $-6$.
Pour la 2e règle, on a :
$5a-6-3a+7b+a+1$ = $5a-3a+a+7b+1-6$
ce qui se poursuivra par la réduction des blocs « semblables ».
Pour la 3e règle :
$-2a+6-(5a-2+3b)-5$ = $-2a+6-5a+2-3b-5$
et on pourra poursuivre par la règle précédente et la réduction des « semblables ».
Remarque : l’expression $-2a+6-(5a-2+3b)-5$ est constitué de 4 blocs puisque $-(5a-2+3b)$ est un bloc. Et entre les parenthèses dans ce bloc, il y a 3 blocs que l’on peut déplacer mais en restant à l’intérieur des parenthèses ; les parenthèses agissent comme des frontières que ne peuvent franchir les blocs, ce qui est un complément de la 2e règle.
Cette notion de bloc mise en évidence par Michel Rousselet est une notion que l’on peut retrouver en examinant plus précisément comment les expressions algébriques sont apparues entre le XVe et le XVIIIe siècle : l’invention des signes $+$ et $-$ date de 1489 par Johannes Widmann sans toutefois leur donner une signification opératoire, juste pour indiquer qu’on avait trop ou trop peu.
En ce qui nous concerne, si on conçoit une expression algébrique comme la traduction symbolique d’un programme de calcul, il s’agit de passer d’un énoncé sans symbole, et donc avec des phrases, à des expressions algébriques : ce qui montre le caractère séparateur des signes $+$ et $-$ directement issu de la structure de la phrases qui est un ensemble de propositions, chaque proposition pouvant la plupart du temps [2] se traduire par un bloc.
Pour ma part, à la suite de Michel Rousselet, c’est à partir de 1996 que j’ai utilisé cette notion de bloc, implicitement dès la classe de 5e et explicitement en 4e, abandonnant ces histoires de priorité entre opérations : « À bas les priorités ! », comme aurait pu dire Jean Dieudonné 😉 .
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