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Les mathématiques dans le quotidien
retour d’expérience du projet
Article mis en ligne le 2 juillet 2022
dernière modification le 11 août 2023

par Marion Souteyrat-Breat

Des projets pour donner du sens

Quel professeur n’a jamais entendu des élèves se plaindre en disant que l’école ne sert à rien, qu’ils ont la « flemme » et qu’ils préféreraient rester chez eux ou avec leurs amis ? C’est pour cette raison que j’ai décidé de travailler sur la motivation et plus particulièrement sur comment la créer.

Après la lecture de plusieurs théoriciens motivationnels, je me suis penchée sur les travaux de John Dewey et son successeur W.H. Kilpatrick avançant que l’enseignement “classique” ne fait apparaître aucun but aux yeux des élèves. Ainsi, ils préconisent la mise en place de projets pédagogiques afin de donner un sens aux activités scolaires. De cette manière, les enseignants peuvent user des compétences innées chez les élèves comme leur capacité sociale et leur curiosité. Les élèves apprennent en faisant, et surtout, en se confrontant aux obstacles qu’ils rencontrent lors d’un projet. Quelques années plus tard, dans les années 1940, Edgar Dale développe « The Cone of Experience » [1] hiérarchisant les méthodes communes d’apprentissage.

Il est important de noter que les quantifications sont critiquées et que cette pyramide permet uniquement de donner un ordre d’idée des méthodes permettant au mieux l’apprentissage d’une notion. De plus, nous pouvons aussi prendre note du fait que, fort heureusement, la recherche pédagogique a bien évolué depuis les années 40.

Ainsi, les projets paraissaient une méthode abordable et intéressante à tester avec mes classes afin de constater si cela les motive ou non.

 

Un projet pour motiver les élèves

Les projets semblent être une alternative à l’enseignement traditionnel enseignant-apprenant permettant de sortir les élèves de leur quotidien. Cependant, je voulais plus qu’un projet linéaire, où les élèves sont guidés vers une direction prédéfinie par l’enseignant et où ils n’ont finalement pas beaucoup plus de liberté individuelle.

C’est pour ces raisons que j’ai monté le projet « Les mathématiques dans le quotidien ».

Je voulais travailler plusieurs choses avec mes élèves : leur autonomie, leur implication sur des domaines qu’ils apprécient, l’oral et la motivation.

Pour ce faire, je leur ai proposé en tout début d’année scolaire ce projet avec les modalités suivantes :

  • Ils travaillent par groupe (allant de 2 à 5 élèves). La formation des groupes se fait librement mais ils doivent choisir un sujet qui les intéresse tous.
  • Ils doivent faire une présentation orale de 10 minutes sur un sujet qu’ils ont choisi (5 minutes d’explication du rapport entre les mathématiques et le sujet + 5 minutes durant lesquelles ils doivent présenter et corriger un exercice de mathématiques qu’ils auront créé en rapport avec le sujet).
  • Le choix du sujet est totalement libre.
  • Ils ont un mois pour me donner le sujet final choisi par le groupe et 5 mois pour préparer l’oral qu’ils présenteront devant la classe.

Durant la séance d’introduction du projet, je leur ai donné une fiche présentant les modalités, les dates butoires et des exemples.

Fiche projet : Les mathématiques dans le quotidien

Les élèves étaient heureux de pouvoir se mettre en groupe et de pouvoir passer du temps avec leurs amis mais l’oral les stressait.

Nous avons commencé le projet lors d’une séance de septembre durant laquelle je leur ai expliqué les modalités énoncées un peu plus haut. La séance avait pour but qu’ils comprennent clairement ce que je leur demande, qu’ils puissent poser le maximum de questions pour clarifier si besoin et pour qu’ils créent les groupes et discutent de ce qui les intéresse afin de commencer le travail de choix du sujet. La liberté de choix de sujet est une chose dont ils n’ont pas l’habitude, surtout en cours de mathématiques. De plus, ils ont souvent l’impression que cette matière est fragmentée, sans lien entre les notions et la vie courante, donc je m’attendais à une cascade de questions concernant le croisement entre leurs intérêts et les mathématiques.

Je n’ai pas été déçue, en voici une liste non exhaustive et mes réponses :

  • « Madame, il n’y a pas des maths partout ! Dans le foot y en a pas par exemple. »
    → Ce à quoi j’ai répondu que les technologies permettant aux athlètes de s’améliorer s’appuyaient sur des notions mathématiques qu’ils connaissent : les pourcentages et le produit en croix, par exemple, permettent de suivre et d’améliorer les progrès des sportifs.
  • « Dans l’art, il n’y a pas de maths »
    → Ce à quoi j’ai répondu que l’art en est rempli. J’ai donné l’exemple du nombre d’or qui est un quotient qu’on trouve dans de nombreuses peintures, nous avons ensuite parlé d’architecture et de la place de la géométrie dans l’espace dans ce domaine.
  • « Moi je veux être influenceuse donc les maths ça me sert à rien ! »
    → J’ai parlé des statistiques auxquelles les influenceuses doivent s’intéresser afin de grandir sur les réseaux sociaux. Savoir quel placement de produit effectuer pour avoir plus de visibilité par exemple.

Une fois les élèves un peu plus convaincus, ils ont pu se mettre par groupe et chercher un intérêt commun.

 

La question de l’évaluation

Au terme de la séance, je leur ai donné les modalités d’évaluation : ils seront notés sur 20 coefficient 1 (comme une évaluation de séquence). Les 20 points sont partagés en 6 grandes parties :

  • La durée de l’oral ;
  • La qualité de production (évaluant l’organisation de l’oral, si les parties sont claires ou brouillons) ;
  • Le vocabulaire de mathématiques (appréciant leur utilisation du vocabulaire appris de façon claire et précise) ;
  • Le contenu (estimant jusqu’où ils sont allés dans les recherches et leur implication) ;
  • La prise de parole (jaugeant un partage équitable ou non de la prise de parole) ;
  • L’expression orale (évaluant leur aise à l’oral et les incitant à parler clairement et distinctement).

Chacun de ces points étant noté sur 3 (0 point si la partie n’est pas du tout acquise et 3 si elle l’est totalement).

En plus de ces six grandes parties, il y avait 2 points supplémentaires accordés aux élèves ayant visiblement pris part plus sérieusement au projet afin d’éviter à ceux-ci de tout faire et à leurs camarades de profiter de leur travail. Ces deux points ont été attribués sur la base de ce que j’ai vu lors des séances de préparation, en plus de ce qu’ils m’ont dit lors de la phase de questionnement sur le partage du travail dans le groupe. Il est à noter que tous les membres d’un groupe ayant participé chacun activement au travail commun se voyaient attribuer systématiquement les deux points.

Évaluation de l’oral

 

Quelques séances en classe pour un suivi

Ensuite, nous en avons reparlé à quelques reprises :

  • Une semaine avant la date butoir de rendu du sujet durant une séance en classe afin qu’ils puissent poser plus de questions, obtenir mon aide et mettre en commun leurs avancements ;
  • Durant deux séances par classe en salle multimédia afin qu’ils fassent des recherches ensemble ;
  • Durant une séance au CDI pour obtenir des informations de média différents et une aide extérieure de la documentaliste ;
  • À la fin de certains cours, certains groupes me questionnaient afin d’avoir de nouvelles pistes.

Le but étant qu’ils fassent par eux même et qu’ils viennent demander de l’aide s’ils sont bloqués.

De façon très pessimiste, je m’attendais à ce qu’ils n’effleurent que la surface de leur sujet et abandonnent l’idée de lier les mathématiques à leur centre d’intérêt mais j’ai eu tort. Non seulement ils ont choisi des sujets originaux, mais en plus ils ont fait un vrai lien avec la matière. Ils ont choisi des sujets très variés et parfois surprenants : informatique, média, automobile, sport, psychologie, faits-divers, art, médecine, Escape Game, mode, Saint-Valentin, animés et Dior.

À titre d’exemple, le groupe travaillant sur la mode a utilisé le théorème de Pythagore, les produits en croix et les équations afin de calculer le coût de production de vêtements en partant de son patron.

Exposé : La mode

Le groupe travaillant sur les escape games a créé une série d’une dizaine d’exercices permettant de trouver le coupable de l’histoire. Le groupe travaillant sur l’automobile a utilisé le théorème de Pythagore afin de calculer la hauteur d’élévation d’une voiture grâce à un cric.

 

Le jour J et les retours des élèves

Les élèves sont passés à l’oral non sans un rappel que les critiques non constructives ne seraient pas tolérées et qu’ils devraient être bienveillants avec leurs camarades. Ils ont pu présenter le fruit de leurs efforts, à la fois fiers de leur travail et stressés de passer devant leurs camarades, mais les élèves ont été à l’écoute les uns des autres et n’ont à aucun moment usé de moqueries.

Lors des questions en fin d’exposé, ils posaient des questions pertinentes, certains ont demandé des précisions sur des parties de l’exposé car ils n’avaient pas compris ou voulaient en savoir plus.

À la fin des oraux, je leur ai demandé de m’écrire ce qu’ils ont aimé, ce qu’ils n’ont pas aimé et leurs remarques. Il en est ressorti qu’ils ont adoré faire ce projet, certains ont même avoué enfin comprendre pourquoi les professeurs de mathématiques ont tendance à en avoir marre qu’on leur dise que « ça sert à rien » car ils ont trouvé des mathématiques derrière chacune des notions explorées.

Il en est aussi ressorti qu’on devrait faire plus de projets car ça changeait de d’habitude. Cependant, il s’avère qu’ils ont du mal à projeter leurs acquis hors du contexte évaluatif scolaire et qu’ils n’ont pas l’habitude de parler devant une assemblée de personnes. Le brevet des collèges et le baccalauréat comportant chacun des épreuves d’expression orale, travailler ces compétences dans un cadre différent de la seule préparation de ces oraux me paraît un bon exercice de gestion de stress.

Pour conclure, le projet a été un succès, j’ai reçu des mails de parents félicitant l’initiative et les élèves n’ont pas rouspété pour le faire, au contraire.

J’ai pu en apprendre à la fois plus sur eux et sur une problématique que je ne faisais que soupçonner : ils ne sont pas à l’aise à l’oral. Étant donné la part d’oral dans les examens nationaux et la part d’autant plus importante d’oraux dans la vie en entreprise, ce projet m’a fait revoir mes pratiques professionnelles.

Pour commencer, j’inclus beaucoup plus d’oraux dans les corrections. Certains élèves, quand ils passaient au tableau, n’expliquaient pas ce qu’ils faisaient, maintenant, ils doivent le faire systématiquement. Ainsi, ils expliquent leur raisonnement, le rendant à la fois plus clair pour le reste de la classe et pour eux. Cela ne change absolument pas le fait que tous les élèves passent régulièrement au tableau, au contraire, l’entraide n’en est que plus présente, favorisant une ambiance de classe bienveillante et agréable.

De plus, j’inclus toujours autant d’application de la vie courante dans mes exercices afin qu’ils n’aient pas l’impression de faire des mathématiques pour faire des mathématiques et qu’ils constatent par eux-mêmes l’importance de cette matière dans un grand nombre de corps de métiers.

 

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Les chantiers de pédagogie mathématique n°193 juillet 2022
La Régionale Île-de-France APMEP, 26 rue Duméril, 75013 PARIS