par Stéphanie Doret Guerre
En panne d’inspiration
J’enseigne depuis quelques années en lycée et suis impliquée au sein de l’association et participe donc aux réflexions et aux débats lors des commissions nationales de la commission lycée ou des journées APMEP. On y a souvent évoqué la lourdeur du programme de seconde tant au niveau des contenus que des compétences à faire acquérir aux élèves. C’est aussi le côté parcellaire de son programme qui est dérangeant. En effet, je trouve qu’il s’agit parfois d’une accumulation de micro notions à voir pour combler des « trous » des programmes du cycle 4 et envisager une poursuite des mathématiques en première.
Par exemple, on travaille la valeur absolue et la distance entre deux réels de façon assez calculatoires mais ces notions se révèleront surtout nécessaires en terminale pour aborder la limite et la continuité de fonctions, elle le sera encore plus dans le supérieur bien entendu.
On complète également les manques dans le domaine de l’algèbre, par exemple en ajoutent deux identités remarquables à celle déjà étudiée au collège. On travaille plus spécifiquement sur les inégalités en lien avec la résolution d’inéquations et le signe des fonctions, plus particulièrement des fonctions affines. C’est alors l’occasion d’introduire les tableaux de signes de fonction. Ces contenus semblent s’enchaîner mais cela m’a toujours donné l’impression d’être assez cloisonné. Surtout, je n’avais jamais réussi jusqu’alors à trouver une bonne articulation entre tout cela, une progression suffisamment satisfaisante qui ne soit pas une succession de micro chapitres peu attirants pour les élèves car trop calculatoires. Il me manquait principalement une articulation avec la résolution de problèmes, ceux-là se limitant trop à des exercices de recherche de fin de chapitre souvent dénués de réel questionnement et simple application déguisée dans un contexte.
En cherchant bien, on trouve
Particulièrement pour la classe de seconde, les éditeurs de manuels scolaires ont différents partis pris. Par exemple, dans le manuel Déclic (chez Hachette), les fonctions sont d’abord travaillées à l’aide des fonctions affines. Chez Magnard, on commence par des généralités sur les fonctions de référence pour poursuivre sur les variations de fonctions et enfin finir par la résolution d’équations et d’inéquations. Dans la collection « Metamaths » de Belin, c’est encore tout autre chose. En effet, les fonctions sont d’abord traitées par leur aspect graphique puis algébriquement en lien avec leurs variations et les fonctions de référence arrivent en bilan.
Je rajoute à cela que le manque de documents d’accompagnement comme on avait pu en avoir pour les anciens programmes se fait particulièrement sentir depuis 2019. En complément de ces éditeurs classiques, je n’avais pas trouvé dans la littérature et ne connaissais pas encore suffisamment bien les programmes de lycée pour envisager une progression qui permette d’éviter des thèmes « hors sol » comme par exemple un chapitre entier sur les ensembles de nombres, les intervalles ou le calcul littéral, etc. Dans l’idée de construire des savoirs dans la durée, il me paraît en effet le plus approprié de « filer » l’enseignement de ces notions tout au long de l’année puis de les consolider petit à petit et de les entretenir à l’aide d’activités mentales. Enfin, je n’étais pas non plus satisfaite du côté un peu trop frontal de mon enseignement en seconde, les séances se ressemblant toutes de plus en plus, cela ne me correspondait plus.
J’avais envie de nouveautés et surtout était en panne d’inspiration. L’arrivée, au sein de mon établissement, d’une nouvelle collègue — amie de l’APMEP devrais-je le préciser — m’a offert l’occasion de remettre à plat ma progression et ainsi mon enseignement de seconde.
Nous utilisons depuis l’an dernier la brochure « Des maths ensemble et pour chacun ». Ayant toutes deux enseigné au collège, nous connaissions ces brochures pour la classe de sixième, cinquième et quatrième et nous avions pu tester la richesse de leurs contenus depuis de nombreuses années.
Cette brochure a été référencée dans Au Fil des Maths n°542, décembre 2021 : le compte-rendu permet de comprendre le fonctionnement celle-ci et le parti pris de ses concepteurs. À noter que la brochure éditée par Canopé ne traite pas des chapitres sur les vecteurs mais, dans ce cas précis, la documentation des IREM notamment ne manque pas, d’autant que ce domaine des programmes est resté inchangé.
Là où la brochure a réussi à me convaincre et m’a ainsi fourni une progression cohérente, c’est sur les fonctions.
Un exemple d’activités
Pour démarrer, le manuel propose d’étudier la situation suivante :
Dans une galaxie très lointaine se trouvent deux soleils et deux planètes. Chaque planète suit un mouvement circulaire uniforme autour de « son » soleil.
Les habitants de la planète 1 voudraient savoir si les deux planètes vont entrer en collision un jour ou l’autre. Ils disposent des relevés des positions des planètes depuis les 10 derniers milliards de secondes.
On peut obtenir ces positions en faisant varier le curseur ${t}$ entre 0 et 10 sur la page GeoGebra modélisant la situation (l’unité de temps est le milliard de secondes).
Étape 1 : comprendre le problème
Les élèves travaillent par groupe et élaborent différentes stratégies pour y répondre. Après un temps d’échange collectif, on fait émerger différentes idées :
- Les planètes peuvent être repérées à l’aide de leurs positions puisqu’on dispose de leurs coordonnées.
- Il y a plusieurs variables qui entrent en jeu dans le problème : les abscisses et ordonnées des planètes et le temps. La position des planètes varie en fonction du temps.
- Il peut être utile de nommer chaque variable du problème, par exemple, $x_1$ et $x_2$ pour les abscisses des planètes et $y_1$ et $y_2$ pour leurs ordonnées et $t$ pour le temps.
- On pourrait donc écrire une condition pour qu’il n’y ait collision à l’aide de ces trois variables ${x,y}$ et ${t}$ : il faut que :
$\left\{ \begin{array}{rcl} x_1(t) = x_2(t) \\ y_1(t) = y_2(t) \end{array} \right.$
Étape 2 : courbe d’une fonction
Dans une deuxième étape, les élèves établissent un tableau de valeurs des positions des deux planètes en fonction de temps et on choisit d’étudier d’abord l’ordonnée de la planète 1. C’est alors l’occasion de représenter graphiquement la position de la planète 1 par rapport au temps et ainsi de travailler sur le choix de l’échelle pour ce graphique, la notion de courbe d’une fonction, de nuages de points, la dépendance d’une variable en fonction de l’autre.
Ces échanges permettent de casser des représentations erronées, en s’appuyant par exemple sur des représentations graphique d’élèves qui ont relié les points du graphique à l’aide de segments et en les comparant à des graphiques d’autres élèves qui ont eux choisi un intervalle de temps plus petit. La brochure suggère de projeter une courbe pour laquelle le pas est de 0,1 seconde et de la distribuer ensuiter aux élèves.
Étape 3 : vocabulaire des fonctions
En appelant respectivement $f_1$ et $f_2$, les fonctions qui, au temps, associent les ordonnées des planètes, on remarque que : $f_1(0)=f_1(6,3)$. Autrement dit, la planète 1 fait un tour complet de son soleil en 6,3 milliards de secondes. De la même façon, on a : $ f_2(0)=f_2(11,3)$.
Les élèves utilisent alors le vocabulaire des fonctions en répondant aux questions :
- Quelle est l’image de 0 par la fonction $f_1$ ?
- Quelle est l’image de 6,3 par la fonction $f_1$ ?
- Quelle est l’image de 3,15 par la fonction $f_1$ ?
- Quelle est la valeur de $f_2 (0)$ ?
C’est aussi le moment de définir ce qu’est une fonction. Ici, les deux fonctions sont périodiques et on peut donc prolonger leurs représentations graphiques, par exemple jusqu’à $t=50$.
Pour répondre à notre problématique de savoir s’il y aura collision entre les deux planètes, on fait émerger l’idée de construire également la représentation graphique de l’ordonnée de la planète 2 en fonction du temps sur ce même graphique.
C’est ici que se situe, à mon avis, tout l’intérêt de l’activité : nous allons avoir besoin d’interpréter graphiquement les risques de collision. En termes de conditions sur les fonctions $f_1$ et $f_2$, il ne suffit pas de chercher les valeurs de $t$ pour lesquelles on aurait : $f_1(t) = f_2(t) = 0$. Ce sont bien des considérations sur les variations des fonctions qui vont nous permettent de conclure.
Étape 4 : Variation et résolution du problème
On distribue aux élèves la courbe de $f_1$ pour $t$ allant de $0$ à $50$ : ils la complètent avec celle de $f_2$.
Les points d’intersection des deux courbes ne fournissent pas nécessairement un instant $t$ pour lequel il y aura collision. Par exemple, en $t = 14$, les courbes sont sécantes mais il n’y a pas collision malgré une ordonnée identique puisque les planètes n’ont pas la même abscisse.
Il y a collision — pour $x_1(t) = x_2(t) = 2,5$ — seulement si la planète 1 est en train de « remonter sur son orbite » et la planète 2 aussi. Autrement dit, l’ordonnée de la planète 1 qui est négative doit être en train d’augmenter au cours du temps comme celle de la planète 2 et ce n’est pas le cas en $t = 14$.
On peut le reformuler :
lorsque le temps augmente, les ordonnées $f_1(t)$ et $f_2(t)$ augmentent.
Cette définition de la croissance d’une fonction n’est pas celle que l’on rencontre d’ordinaire dans les manuels scolaire de seconde qui préfèrent une reformulation du type : « la fonction $f$ est croissante sur un intervalle $I$ si pour tous $a$ et $b$ réels d’un intervalle $I$ tels que $a < b$ alors $f(a) < f(b)$. »
La définition suggérée par Des maths ensemble et pour chacun est d’ailleurs celle qui figure dans l’un des manuels écrits par Émile Borel que nous avions pu découvrir lors de l’exposition Émile Borel, un mathématicien pluriel.
On peut conclure qu’il y aura collision à $t \approx 42,5$ puisque les fonctions sont croissantes sur $[41 ;43]$ et convertir ce temps en années.
Bilan
L’activité est aussi un support pour introduire les tableaux de variations, la notation des intervalles et les extrema de fonctions. Autant de savoirs qui demandent rigueur et méthodes pour être compris et utilisés mais ne sont pas toujours faciles à initier auprès des élèves. Cette activité « Fin du monde » consiste donc pour moi en une véritable activité d’introduction comme a pu nous en parler Aline Robert dans les Chantiers (Activités d’introduction : Le point de vue didactique) il y a quelques années.
La brochure dispose de contenus numériques téléchargeables pour chaque chapitre, les fichiers Geogebra de l’activité sont ainsi accessibles comme des bilans et des exercices supplémentaires.
S’il n’est pas facile de rentrer dans l’activité à la première lecture, je conseille aux lecteurs cet ouvrage. De plus, et heureusement pour moi, le thème des fonctions n’est pas le seul qui offre de réelles situations d’enseignement pendant lesquels j’ai le plaisir de voir mes élèves actifs et se questionnant !
La Régionale Île-de-France APMEP, 26 rue Duméril, 75013 PARIS