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Un hackathon pour le concours
Article mis en ligne le 9 octobre 2024
dernière modification le 6 octobre 2024

par Agnès Veyron

La classe de 1re STD2A d’Agnès Veyron a participé au concours 2023-2024 en nous proposant le jeu Pavage Master qui a remporté le 1er prix. Vous pouvez consulter la notice du jeu Pavage Master.

Agnès Veyron nous décrit « la phase chaude » de la réalisation de projet en nous montrant l’organisation, le mode de fonctionnement et l’implication des uns et des autres et enfin tous ces petits problèmes techniques de réalisation qui ne nous arrivent jamais quand on ne fait que des exercices !

Rien n’est prêt

Vendredi 29 mars 2024, l’heure est grave. Le concours APMEP doit être rendu dans une semaine, et nous ne sommes pas prêts.

Résumons le projet : avec mes collègues d’arts appliqués, nous avions décidé de travailler sur les pavages du plan. Il existe 17 types de pavages différents et nous avons 34 élèves, donc nous avons attribué chaque pavage à un groupe de deux élèves. Les élèves ont créé en cours de mathématiques une forme correspondant au type de pavage choisi, ils l’ont réalisée avec le logiciel Illustrator en cours d’OLN (Outils et Langages Numérique). À partir de ce travail, nous avions l’ambition de créer un jeu de type puzzle.

Mais voilà, au matin du 29 mars, toutes les pièces n’ont pas été vérifiées, aucune n’a encore été découpée, la règle du jeu n’est pas fixée et le dossier d’accompagnement n’est pas fait.

Toutefois, ma collègue et moi , nous avons, dans la journée, six heures de travail en classe entière ou en demi-groupe avec les élèves, ce qui rend la finalisation du concours possible. À 8 heures 30, j’expose la situation à ma première demi-classe et leur demande s’ils se sentent capables de relever le défi. Je leur précise que je ne soumettrai leur production au concours que si elle est de qualité.

Deux minutes de réflexion et… c’est parti.

 

En mode « hackathon »

Nous passons immédiatement en mode « Hackathon ». Un hackathon est une compétition d’innovation où les participants se réunissent pour générer des idées et concevoir des solutions en un temps très court. Les élèves de STD2A (Sciences et Technologies du Design et des Arts Appliqués) ont l’habitude de travailler en projet et d’imaginer.

J’affiche les attendus du concours au tableau et nous créons de nouveaux groupes de travail pour répartir les tâches :

  • Un groupe s’occupera de la gestion de projet : choix du logiciel support, création, nommage et partage des documents avec les bons droits, suivi et accompagnement des autres groupes.
  • Un groupe établira la charte graphique.
  • Un groupe définira la règle du jeu. Certaines élèves avaient déjà anticipé et proposé des règles, elles constituent donc ce groupe.
  • Un groupe expliquera l’apport mathématique pour les joueurs.
  • Deux groupes se chargeront de l’apport mathématique pour les créateurs.

À la fin de l’heure, je leur demande de laisser des brouillons propres et exploitables pour l’autre demi-classe qui prend le relais. Deuxième demi-classe, répartition en groupes et reprise du travail des précédents avec quelques difficultés liées au passage de relais : documents mal rédigés, peu compréhensibles, divergences de points de vue et quelques frustrations : « Madame, j’avais aussi préparé une règle du jeu et elle est mieux. — Oui, mais tes camarades de 8 h 30 en ont choisi une autre et ils ont travaillé dessus pendant une heure, donc on continue dans la lancée. »

Le logiciel utilisé pour le projet par les élèves est Canva, c’est un bon choix de leur part. Le document est partagé en écriture entre tous les élèves, c’est indispensable, mais cela oblige chacun à rester sur la page dont il a la responsabilité et à ne pas modifier les pages des autres. Certains ont du mal à le comprendre.

D’autre part, la gestion de la charte graphique, en particulier le choix de la police et des tailles de caractères, pose quelques problèmes. Il me faudra reprendre en cours d’Outils et Langages Numérique la notion de factorisation des styles et de l’usage des faux-textes pour mettre en page un document sans gêner l’écriture simultanée de ce document.

Concernant les mathématiques pour les créateurs, on se limitera aux différents points de vue sur la symétrie axiale suivant les outils utilisés : tracé aux instruments, avec un gabarit, avec GeoGebra, avec Illustrator. Nous n’avons ni le temps, ni la place de traiter les autres transformations.

Le travail est long et laborieux : il faut prendre conscience que même si la transformation mathématique est la même, les processus changent suivant les outils utilisés : GeoGebra place le symétrique directement avec l’axe de symétrie, Illustrator se contente de retourner la figure, il faut ensuite la translater jusqu’à la position voulue. Le vocabulaire aussi est différent : effet miroir en arts appliqués, symétrie axiale en mathématique. La rédaction rigoureuse dans les différents contextes est difficile.

 

Au cœur de la phase chaude

Midi, le projet a bien avancé. Les élèves se sont bien impliqués dans le projet et la gestion de celui-ci est efficace. C’est le temps d’un premier bilan, des échanges de regards, dans lesquels on lit de la fierté, de la satisfaction et du plaisir de faire ensemble.

14 heures : une élève boude : « Madame, elles ont tout changé ma règle du jeu ! — ce n’est pas ta règle du jeu mais celle de la classe, elles ont repris ton idée mais elles ont travaillé deux heures dessus. Maintenant, tu te réappropries la règle telle qu’elle est. » Ce ne sera pas possible. L’esprit de l’élève est trop individualiste, elle conçoit le travail comme étant son travail, elle est incapable d’intégrer les apports des autres, d’évaluer leur pertinence.

Le découpage des pièces a commencé et il pose rapidement un problème. Pour une meilleure précision de la découpe, il a été décidé d’utiliser une machine dédiée. Celle-ci n’accepte de découper que des contours fermés, or le dessin de certains élèves sur Illustrator manque de précision et leurs lignes ne sont pas toujours fermées. Il n’ y a pas le choix, il faut reprendre les fichiers et fermer le bord des pièces.

Un autre problème apparaît avec les pièces des pavages faisant intervenir une symétrie axiale. Pour créer une pièce de pavage, on part du parallélogramme associé à ce pavage, puis si un déplacement entre en jeu, on découpe une partie de la pièce que l’on recolle ailleurs. Mais la symétrie axiale est un antidéplacement et la logique est autre : l’axe de symétrie utilisé pour « déplacer la pièce » doit coïncider avec un bord qui doit donc être un segment de droite. Les motifs « symétriques » sont dessinés sur chaque face de la pièce. Lorsqu’en cours de maths, je leur avais demandé de paver le plan, les élèves avaient utilisé un gabarit sur lequel ils avaient découpé les parties symétriques pour pouvoir les reproduire en suivant les contours de la pièce. Certains ont dessiné et fait découper ces gabarits qui évidemment ne pavent pas le plan, il y a des trous.

Par exemple, le pavage ci-dessous fait intervenir une symétrie centrale et deux symétries axiales.

Au centre, on voit le gabarit qui permet de reporter sur une feuille le dessin du pavage. Et à droite, la pièce de jeu avec les zones en bleue coloriées sur chaque face et les bords droits. Les demi-disques eux s’emboîtent lorsque l’on effectue la symétrie centrale. Si on découpe le gabarit au lieu des pièces, il y a des trous.

Enfin, les pièces de pavages faisant intervenir une symétrie axiale sont utilisées des deux côtés. Il est très difficile d’imprimer une feuille des deux côtés de façon précise. Il a donc été décidé d’imprimer deux motifs, un recto et l’autre verso et de les coller ensuite. Les dessins sont coloriés à la main sur les deux côtés.

Ce travail est long, les élèves impliquées se mettent en mode « salon de thé ». On colorie, on colle avec soin et on papote allégrement. Une fois le premier jeu fini, je vérifie les pièces : les deux faces ne sont pas symétriques, le collage n’a pas été réalisé correctement. On recommence.

Une des élèves concernées prend d’elle-même la charge de vérifier les pièces de tous les pavages avec une symétrie axiale, et elle repère sur un lot une erreur particulièrement subtile qui m’avait échappé.

Les élèves en charge de la gestion du projet m’informent qu’Untel est encore en train de modifier à la volée le travail des autres. La mise en garde du matin n’a donc pas suffi. Je vais le voir, il m’explique qu’il y a des fautes d’orthographe, des phrases mal tournées, des textes qui sortent de leur cadre, des explications incompréhensibles. Je lui dis que ce travail est celui des autres et qu’il est en cours d’élaboration, qu’on ne corrige pas un travail tant qu’il n’est pas déclaré fini par les auteurs. Je lui demande de se concentrer sur sa page à lui et je le menace de lui couper les droits d’écriture sur le document s’il continue à s’occuper de ce qui ne le regarde pas. Le message est en partie entendu. Il ne modifiera plus les écrits des autres, il ne travaillera pas non plus. Il restera l’œil rivé sur son écran, subjugué par le ballet des traces des souris de ses camarades sur le document en train de se faire.

Un groupe se charge de la boîte de jeu. Ce travail est suivi par les collègues d’arts appliqués. Les filles en charge de cette boîte ont une compétence précieuse : à chaque fois qu’elles buttent sur une difficulté, résolument tournées vers l’avenir, elles cherchent une solution et elles la trouvent ! Le contraste est saisissant avec un autre groupe qui, devant chaque difficulté, tourné vers le passé, se cherche… des excuses, et donc n’avance pas.

 

On est prêt

Durant cet après-midi, je suis impressionnée par l’engagement et la pertinence des élèves en charge de la gestion du projet. Elles sont partout, complètement investies. Elles surveillent le travail de chaque groupe, anticipent les problèmes. Elles naviguent entre la salle de maths et celle d’arts appliqués. Elles font le lien entre les professeurs et assument leur rôle de gestion de projet : « La prof d’arts appliqués a dit que… — Moi, prof de maths je pense que… C’est vous les cheffes de projet, faites au mieux. »

Le choix du nom du jeu (Pavage Master) se fait collégialement sans même que les professeurs ne s’en mêlent.

Ces filles, dont certaines sont un peu faibles en maths font preuve de compétences qui relèvent du domaine des « Soft Skills » si recherchées dans la vie professionnelle. Il va falloir trouver un moyen de l’indiquer sur leur dossier scolaire.

Vendredi soir : la découpe des pièces est terminée, merci aux collègues d’arts appliqués qui sont restés tard au lycée ce soir-là. Les élèves m’ont envoyé leur document par mail en format pdf. Toutes les rubriques nécessaires pour le concours sont bien présentes. La règle du jeu semble tenir la route, elle n’a cependant pas encore été testée. L’orthographe, les formulations et la mise en page ont été vérifiées — Il est dommage que cette étape ait été oubliée la semaine suivante pour le rendu final, nul n’est parfait !

Le pari est gagné, nous aurons le temps la semaine suivante de finaliser les documents.

Je procède à l’inscription.

 

 

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Les chantiers de pédagogie mathématique n°202 octobre 2024
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