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Mathématique : Je t’aime … moi non plus !
Article mis en ligne le 12 décembre 2016
dernière modification le 30 juin 2017

par Rémy Coste

L’utilisation des mathématiques est de plus en plus visible dans la vie quotidienne ou dans les différents domaines dont on entend parler : médias, finance, échanges boursiers, sondages, risques, jeux, justice, délinquance, etc. Les champs mathématiques en jeux sont principalement ce qui relève de l’information chiffrée, des statistiques, des probabilités, des bases de données, des algorithmes. Les professeurs de mathématiques aiment à dire qu’ils ont un rôle très important pour donner aux citoyens une culture mathématique permettant de comprendre et juger la pertinence des arguments s’appuyant sur des connaissances mathématiques. Force est de constater que la réussite est toute relative, pour ne pas dire souvent consternante. Nous avons du pain sur la planche…

Au top ten des erreurs dites et redites, il y a sans conteste celles sur les sondages. Le double épisode des élections "surprises" de Trump puis de Fillon a déclenché une condamnation unanime d’une virulence inégalée pour fustiger les sondages, ceux qui les font, et ceux qui les exploitent, confondant les uns avec les autres. Il est heureux que la roue sur la place publique soit révolue… Les bêtises ainsi rabâchées sont pourtant connues : d’une part on donne les pourcentages observés à l’unité près, alors qu’un sondage est une "photo floue" ne donnant qu’un intervalle de valeurs probables avec un risque d’erreur quantifié, d’autre part cette photo est prise à un instant donné, et n’a donc aucun pouvoir de deviner l’avenir d’une population par définition en mutation. Ce n’est que la comparaison des sondages au cours du temps qui peut donner des indications sur l’évolution de la population étudiée, et encore à condition que la tendance soit vraiment marquée. Ces deux erreurs - une valeur au lieu d’un intervalle et confusion entre observation à un instant donné et prévision - ont été expliquées pendant les semaines qui ont suivi l’éviction de Jospin en 2002. Pendant quelques temps, certains médias ont même fait l’effort de donner des intervalles de confiance pour communiquer des résultats d’enquêtes. Cela n’a pas duré…

Les sondages sont-ils exempts de critiques et d’interrogation ? Non. Mais pas pour les raisons qui sont communément relayées. Parmi les vraies raisons de s’interroger sur la valeur des sondages, il y a le fait que les intervalles de confiance avec un risque d’erreur choisi, ne sont calculables que si l’échantillon est obtenu aléatoirement. Ce n’est pas le cas des méthodes employées par les instituts de sondages en France, où l’on préfère la fameuse méthode des quotas. Du coup les intervalles de confiance ne sont pas le résultat d’un calcul, mais d’une cuisine assez empirique s’appuyant sur les expériences passées. Il y a donc une hypothèse assez risquée : la population étudiée se comporte comme elle s’est déjà comportée avant. Comme dans tout problème mathématique, la résolution est validée sous couvert que les hypothèses qui sont utilisées sont bonnes. Avec du faux, chacun sait qu’on peut obtenir n’importe quoi, même avec un raisonnement rigoureux.

L’autre point de suspicion à relever est nouveau : Concernant l’élection de Fillon à la primaire de la droite et du centre, la population à sonder n’était tout simplement pas définie ! Qui allait voter ? Comment réaliser un échantillon d’une population inconnue ? Fallait-il ne prendre que des électeurs de droite alors que de toute évidence ils ne seraient pas les seuls à voter ? Fallait-il prendre des français sans distinction d’opinion, créant la aussi un biais évident ?

Et pourtant, quoiqu’il ait été dit, que ce soit aux États-Unis ou en France, le plus étonnant est que les sondages ont donné avec précision des indications en cohérence avec ce qui s’est passé finalement.

La part d’intentions de votes pour Hillary Clinton a toujours été donnée comme plus importante que celle pour Donald Trump. C’est bien ce que l’on a observé, Clinton ayant recueilli 2 700 000 voix de plus que Trump, plus de voix que celles obtenues par Obama lors de sa dernière élection. De plus, en France comme aux Etats-Unis, les sondages ont parfaitement révélé la mobilité des intentions de votes, et surtout, ils ont parfaitement révélé les fortes évolutions dans les dernières semaines. Mais justement, le comble du paradoxe, est que, ne faisant pas confiance aux sondages par principe, les médias, et les responsables politiques n’ont pas cru aux évolutions qu’indiquaient les sondages. Ce qui a suivi a prouvé qu’ils ont eu tort. Et bien rien n’y fait. Les coupables se sont les sondages !

La question de l’utilisation (abusive ou non) des mathématiques dans la société est évidemment une question passionnante, mais aussi déontologiquement très importante lorsque l’on fait l’apologie de notre discipline à nos élèves ou nos concitoyens. Aux journées de Lyon, je m’étais inscrit à l’atelier intitulé "Les dérapages incontrôlés des maths", par Michel Soufflet (IREM de Basse-Normandie), reprenant là, le titre d’un article paru dans Le Monde en septembre 2015. Malheureusement Michel Soufflet a été contraint d’annuler l’atelier, mais il nous a envoyé 4 documents (un grand merci à lui !) que je fais suivre et que vous pouvez télécharger ci-dessous, un document contenant des exemples commentés, susceptibles d’en faire des activités pour nos élèves et trois articles parus dans le Monde :

Dans ce dernier article, il est question d’un livre, écrit par la mathématicienne américaine Leila Schneps, et sa fille Coralie Colmez, intitulé : Les Maths au tribunal (Seuil, 288 p, 20€). J’ai donc acheté et lu le livre. Il est très intéressant et j’en recommande la lecture. Toutefois, outre que je le trouve assez mal traduit, je regrette que les explications et les analyses des erreurs mathématiques qui sont évoquées ne soient pas assez bien explicitées. Il a fallu que, papier et crayon à l’appui, je mette en œuvre mes connaissances de prof de maths pour bien clarifier les erreurs commises. Si l’image des maths d’un lecteur non suffisamment armé est celle d’une discipline obscure, je crains qu’elle ne soit ainsi renforcée. Peut-être est-ce mon petit cœur de pédagogue indécrottable qui parle …

La conclusion du livre énonce 3 idées qui méritent vraiment d’être méditées :

1re idée (p 265) : "Confronté à toutes ces histoires il est légitime de s’interroger sur la place des calculs mathématiques devant les tribunaux, si elle existe, et de se demander s’ils devraient vraiment jouer un rôle dans l’élucidation des crimes. Le plus gros problème, est qu’il est tout simplement très facile pour des non-mathématiciens, ou parfois même pour des mathématiciens peu accoutumés à interpréter des calculs dans une situation de la vie réelle, de mal comprendre et d’appliquer les mathématiques à mauvais escient."

2e idée (p 266) : "…la vraie vie n’est jamais aussi simple qu’un exemple théorique et il est impossible de jamais trouver un modèle mathématique représentant fidèlement une situation réelle, avec toutes ses complications humaines …"

3e idée : (p 267) : "Plus à craindre encore que ces erreurs, il est à craindre l’effet psychologique des mathématiques, si puissant qu’il peut submerger un jury et menace de rendre le système juridique plus étrange et inhumain …"

En clair, les maths sont trop difficiles à comprendre, trop simplistes pour rendre compte de la réalité, et trop impressionnantes pour ne pas fausser le jugement. Nous voilà renvoyés dans nos cordes…

Pour terminer sur une note plus positive, je vous conseille vivement de visionner la formidable conférence que Daniel Perrin a faite aux journées de Lyon, intitulée "L’affaire Van Meegeren". Un vrai régal ! Il y raconte cette histoire vraie et incroyable du faussaire Van Meegeren, pour qui les mathématiques sont venues à son secours.

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Les chantiers de pédagogie mathématique n°171 décembre 2016
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