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Pédagogie de projet…
Article mis en ligne le 21 mars 2016
dernière modification le 3 juillet 2017

par Rémy Coste, Claudie Missenard

S’il est un sujet à la mode, c’est bien la pédagogie de projet. En conséquence une revue comme la nôtre ne pouvait rester absente du débat.

C’est pourquoi nous ouvrons cette rubrique en espérant que vous aurez à cœur de la faire vivre par votre participation (point de vue, questions, expériences...) car ce journal est le vôtre et n’est rien sans vous.

Point de vue de Claudie Asselain-Missenard

Le monde change. Les élèves changent. La transmission par l’enseignement frontal : un maître qui sait et qui montre, des élèves qui écoutent, apprennent et appliquent, n’est plus, loin s’en faut, le seul mode d’appropriation des connaissances. Il faut donc enseigner différemment.

L’institution propose plusieurs réponses. L’une d’entre elles est la pédagogie de projet.

Celle-ci présente de nombreux avantages : travail demandé aux élèves plus proche de ce qui se passe dans la vie réelle, décloisonnement des disciplines et incitation à l’interaction des enseignants, évaluation différente, mieux ressentie, plus favorable aux élèves, mise en lumière de compétences différentes (aptitude au travail en équipe, à utiliser des ressources, à exposer à l’oral, à valoriser son travail…).

Nous assistons donc à une forte insistance de l’institution pour faire évoluer l’enseignement en ce sens. Les EPI au cycle 4 du collège en sont la dernière occurrence.

Malheureusement, la pédagogie de projet présente aussi un gros inconvénient. Elle ne se décrète pas de l’extérieur. Pour que ce type d’enseignement fonctionne, il faut que les intéressés eux-mêmes, je veux dire les enseignants, la choisissent. Un projet ne fonctionne que si ceux qui le mettent en place y adhèrent, se l’approprient et le font leur. Le travail en équipe se décide ensemble, il ne peut s’imposer de l’extérieur. Les affinités et volontés des individus ont un poids prépondérant. Et quand les individus qui adhèrent à un projet le mettent en place, on peut alors effectivement assister à des réalisations remarquables.

Les tentatives successives se sont constamment heurtées au collège à cette difficulté structurelle. La pédagogie de projet, associant plusieurs disciplines, est ressortie telle un serpent de mer sous différentes appellations durant les vingt dernières années : itinéraires de découverte, parcours diversifiés, travaux croisés, EPI maintenant, avec des nuances parfois importantes dans les modalités, mais un même type d’objectif. Chaque tentative a à la fois pu produire de belles réalisations et finir invariablement par se perdre dans les sables. Et ceci toujours pour les mêmes motifs, et sans qu’aucun bilan ou conclusion ne soient jamais tirés de ces échecs successifs.

Les raisons en sont pourtant simples :

  • ce qui fonctionne bien quand des équipes motivées le créent et l’expérimentent ne fonctionne plus quand il est généralisé au professeur Tout- le-monde, si celui-ci n’en veut pas.
  • les réformes se faisant à moyens constants (et c’est raisonnable, le budget de l’état n’étant pas extensible à l’infini), l’introduction de nouveaux modes de travail se fait au détriment des anciens (ce bon vieux cours, qui est ce qu’on sait faire le mieux), donc est d’avance soupçonné de vouloir détruire l’existant (qui, s’il est souvent source d’insatisfaction, est cependant rassurant).

L’institution, qui connaît son monde, croit résoudre la contradiction en expliquant que les EPI seront obligatoires pour les élèves (6 thèmes traités sur les 8 proposés dans une scolarité) et facultatifs pour les enseignants (seuls les professeurs volontaires seront amenés à intervenir dans le cadre des EPI). Il n’y a pas meilleure façon de se voiler la face.

Et l’on se retrouve dans une proposition qui réunit tout le monde contre elle. Elle a contre elle les nombreux enseignants conservateurs et hostiles à l’idée de changer leurs pratiques. Mais elle a aussi contre elle les équipes qui avaient une tradition de travail commun et d’expérimentation, parce que les gens actifs ne veulent pas d’un cadrage aussi incompréhensible que celui proposé et parce qu’ils ont le sentiment d’une diminution et de leur marge de manœuvre, et aussi du volume d’enseignement global à travers ces projets imposés.

Complément de Rémy Coste

À propos du texte de réflexion de Claudie Missenard sur la pédagogie de projet, je dois reconnaître que j’y souscris complètement, sans aucune réserve.

Mais je rajoute un argument qui finalement est peut-être plus optimiste, sans contredire l’analyse, peut-être même la renforçant.

Se poser la question de savoir si on est pour ou contre la mise en œuvre du dispositif EPI, revient à trancher en faveur de ceux qui veulent s’engager dans une démarche de projet, ou de ceux qui ne le souhaitent pas. Comme Claudie le dit, tous ont de bonnes raisons, parfaitement recevables. Alors justement laissons la possibilité à chacun de faire ce qu’il veut. Assumons que les pratiques puissent être foncièrement différentes et assouplissons fortement la structure pour que la liberté pédagogique puisse vraiment être effective et qu’elle ne se réduise pas au fait de savoir si on traite les statistiques au mois de juin ou pas. D’autant plus qu’il y a de nombreux schizophréniques qui zappent au gré de leur inspiration et de leur envie entre les différentes pratiques. Je soupçonne même que cela peut être bénéfique, considérant la grande diversité des élèves, de leur manière de penser et d’apprendre. De ce point de vue, la fameuse querelle entre "pédagogistes" et "traditionalistes" est souvent ridicule et vaine. Les prêcheurs de la méthode miracle, dans leur exhaustivité de toute autre pratique, sont souvent simplistes. S’il est important de bien connaître et comprendre les cadres théoriques des différents modèles d’apprentissage, c’est plus pour analyser et être conscient de ce qu’on fait, que pour s’astreindre par principe à une démarche unique.

Oui, mais voilà, l’expérience montre que pour que cette ampleur accrue dans la liberté pédagogique puisse être praticable, il faut l’institutionnaliser. C’est le paradoxe. En clair, s’il n’y avait pas eu l’enseignement d’exploration "Méthode et pratiques scientifiques" en seconde (là aussi obligatoire pour les élèves, facultatives pour les profs), jamais je n’aurais pu mettre en œuvre un enseignement scientifique bi-disciplinaire où les mathématiques (des vraies de vraies) sont étroitement ancrées dans une problématique scientifique plus large, idée que j’avais depuis longtemps en tête.

Pour en revenir à la réforme des collèges en cours, il faudrait que les EPI soient un espace offert, une structure disponible, dont les enseignants volontaires pourraient s’emparer, supervisée par le chef d’établissement, ce qui suppose au passage une plus grande autonomie des établissements.

En conclusion, plus que de monter au créneau et freiner des quatre fers, il faudrait s’assurer qu’une grande diversité de projets soit acceptée, sans imposer un cahier des charges contraignant (comme l’interdisciplinarité qui est le plus difficile à réaliser), avec des possibilités concrètes d’aménagements dans l’organisation des enseignements. Car l’idée essentielle qui a présidé à cet aspect de la réforme, est de trouver des modalités plus motivantes pour les élèves qui ne se reconnaissent pas dans la structure classique. Tout le reste doit être laissé à l’imagination des profs, en mettant tout en œuvre pour leur faciliter les choses plutôt que de les rendre inextricables.

Et maintenant à vous…



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Les chantiers de pédagogie mathématique n°168 mars 2016
La Régionale Île-de-France APMEP, 26 rue Duméril, 75013 PARIS