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L’oral en mathématiques chez nos voisins
Séville et Salamanque : faire des maths en Espagne
Épisode 2
Article mis en ligne le 4 avril 2022
dernière modification le 21 février 2024

par Luca Agostino

Un lycée dynamique à Séville

Le lycée Hermano Machado de Séville où se déroule la suite de notre « tour d’Espagne » est un grand établissement de banlieue caractérisé par la volonté du chef d’établissement Pedro Jurado, aussi professeur de technologie, d’en faire un pôle d’excellence sous l’influence de la très proche université. Pour cela, il impulse depuis plusieurs années un grand nombre de projets de mobilités internationales, il suffit de dire que lors de la semaine qui a suivi notre venue, une délégation de huit professeurs de quatre pays était attendue pour travailler sur les orientation en formation professionnelle pour les élèves.

En effet, l’établissement est un IES (Istituto d’Enseignaza Secundaria) et accueille des élèves de collège, de lycée ainsi que des sections post-bac équivalentes à nos BTS.

On est fin octobre 2021, avec un collègue de mathématiques et une collègue de physique chimie nous profitons de la chaleur du soleil andalou en visitant les locaux intérieurs… et extérieurs du lycée, en découvrant une agréable classe en plein air, le potager et de beaux terrains de sport.

Nous rencontrons Olaja, professeure de mathématiques, qui nous a généreusement ouvert les portes de ses classes pendant toute une matinée (en Espagne, comme en Italie, les élèves n’ont cours que le matin). Dans cet article nous découvrirons une analyse d’une séance de cours d’algebre en classe de 4eESO (équivalent Seconde) puis un retour d’expérience d’une formation de deux après-midi que nous avons animée pour les enseignants de mathématiques du bassin et nous terminerons par une ouverture sur la thématique de l’inclusion scolaire, sujet qui m’est très cher.

Une madeleine mathématique

L’observation que je vais vous décrire s’est déroulée sur une classe de Seconde de 16 élèves. La classe est organisée en rangées selon une configuration « classique ». Telle une madeleine de Proust, le thème de la leçon m’a évoqué un grand nombre de souvenirs de lycéens : l’utilisation du théorème du reste pour la factorisation des polynômes (j’en parle également ici). Les élèves connaissent la « règle de Ruffini » pour la factorisation des polynômes à coefficients entiers.

Qu’est ce que l’on entend par « règle de Ruffini » ?

La règle de Ruffini est un algorithme de division de polynômes à coefficients entiers.

Étant donnée une racine entière d’un polynôme à coefficients entiers , elle consiste à réaliser une suite d’opération donnant comme résultats les coefficients du quotient de la division euclidienne du polynôme de départ par et dont l’exemple suivant sera plus clair de toute généralisation que je pourrais envisager.

Exemple : appliquons la règle de Ruffini au polynôme $P(x)=x^3-4x^2+5x-2$ qui a comme racine évidente 1 . On dresse le diagramme suivant :

Ainsi on obtient la factorisation $x^3-4x^2+5x-2=(x^2-3x+2)(x-1)$

La professeure commence le cours en posant la question suivante « comment pouvons-nous déterminer une racine évidente d’un polynôme donné afin d’appliquer la règle de Ruffini ? ».

Elle donne un exemple de polynôme au tableau et remplit un tableau où elle calcule l’image de plusieurs candidats de la racine entière recherchée par le polynôme donné. La démarche de recherche d’une conjecture du théorème du reste est évidente, mais on remarque immédiatement que ce travail est mené par la professeure au tableau et pris en note par les élèves. Il ne s’agit pas d’enseignement explicite car l’enseignante cherche à conjecturer l’énoncé du théorème par des tentatives, mais on remarque aussi que ce travail de découverte n’est pas réalisé par les élèves, lesquels sont en posture d’écoute et prise de notes. Cela pose la question de l’apport didactique d’une posture de découverte par la professeure qui a déjà découvert le théorème… finalement on pourrait désigner ce début de cours de récit de découverte d’un théorème.

Les calculs montrent assez aisément qu’un bon candidat semble être un diviseur du terme de degré zero du polynôme ce qui est effectivement annoncé directement par la professeure qui note au tableau une trace écrite très succinte du théorème du reste.

Les élèves prennent note dans une ambiance marquée par la concentration, des questions sur les calculs effectués, mais aucun élève n’a demandé « pourquoi cela marche ? » ou posé la question de savoir s’il y avait toujours un bon candidat. Ce cours m’a fait repenser aux élèves madrilènes que j’avais déroutés avec mes énoncés de recherche en trigonométrie. Il me parait ainsi se manifester de façon générale un « contrat didactique » espagnol basé sur la réception des notions, où mieux, des techniques et méthodes à appliquer dans des situations identifiées comme modèles. Justement le cours a continué sur des exercices d’application standards et de difficulté croissante. Les élèves se sont montrés très réactifs et ont su appliquer rapidement et efficacement la méthode découverte.

Ce qui m’a apparu remarquable dans la posture des élèves est, en revanche, leur capacité d’assimilation. En effet, par pur hasard, l’heure suivante je me suis retrouvé dans une classe de Terminale où l’enseignante réalisait des exercices sur la résolution d’équations avec des fractions rationnelles. Au bout de quelques lignes de calculs, l’élève au tableau se retrouve à résoudre une équation du troisième degré… et là…, sans hésitation, elle évoque le théorème du reste et la résout avec la règle de Ruffini. Le tout sans se surprendre de devoir mobiliser une notion apprise deux ans avant.

La photo qui montre la production de l’élève au tableau permet aussi de faire un commentaire sur la qualité de la rédaction qui apparaît purement fonctionnelle à la résolution et où il manquerait plusieurs éléments de formalisation et rigueur. Comme tout ce que l’on décrit, il ne s’agit pas d’établir de quel côté se trouve la bonne façon d’enseigner, mais plutôt de montrer comment le fait de faire travailler plus ou moins des compétences telles la capacité de calcul, la rédaction, le raisonnement constituent des choix didactiques liés très certainement à l’histoire et la culture du pays.

Regards cruzados

Je suis persuadé que les actions d’observation mutuelle entre collègues européens peuvent s’enrichir d’un travail de co-formation ou de formation bilatérale afin que les impressions telles celles décrites précédemment soient confortées et approfondies. Après avoir assisté à plusieurs cours en Espagne et avoir constaté la place de l’élève dans le cours et les choix didactiques et pédagogiques, je n’attendais que le moment de pouvoir initier le dialogue sur ces choix avec les collègues.

Pour cela, nous avons animé une formation de deux après-midi autour de l’enseignement des mathématiques et de la physique en France. La formation (dont le diaporama est disponible) se déroule dans une première partie plus magistrale d’apports sur le système scolaire et de réflexion sur des sujets type activités de découverte françaises, puis d’une deuxième partie en atelier où l’on demande aux enseignants de s’inspirer de la séance précédente pour construire un cours « à la française » sur un thème donné. Pour cela, nous leur fournissons des énoncés traduits et des pages de manuels.

Sans surprise deux grands sujets animent les débats des collègues : la réforme du lycée avec le choix des mathématiques en première et la mise en place d’activité de découverte afin de confronter l’élève au besoin d’une nouvelle notion et à son intuition.

C’est évidemment l’occasion pour évoquer le rôle primordial des travaux de Guy Brousseau et de montrer comment, en simplifiant, cette idée de l’apprentissage par son besoin et son intuition s’est installée dans les usages et les pratiques de cours de la plupart des nos collègues.

Fascination et doute, je pense que c’est le binôme de ressentis qu’ a suscité ce travail. Des méthodes qui suscitent un vif intérêt intellectuel mais qui, on le ressent bien, rencontrent aussi le frein de la peur de ne pas terminer le programme, de ne pas avoir le temps de travailler comme ça… au fond rien de vraiment étonnant…

Par contre, la pratique des « questions flash » en début de cours a eu un énorme succès, donnant envie aux collègues d’en tester à partir du jour suivant ! Et bien évidemment notre diapositive sur l’APMEP qui leur a fait désirer de pouvoir avoir un équivalent en Espagne.

Imanol et ses camarades

Dans le précédent épisode, j’ai évoqué le sentiment d’ambiance sereine que j’avais ressenti à Madrid entre profs et élèves, ambiance qui ne se limitait pas seulement au tutoiement mais qui me semblait entraîner la classe et le quotidien des enseignants dans un rythme, certainement soutenu, mais apaisé, détendu et à la limite rigolo. C’est tout à fait ce que l’on a retrouvé à Séville où, sur trois jours d’observations, nous n’avons assisté à aucun moment de tension et encore moins de conflit. Sans vouloir généraliser à tout établissement espagnol, j’ai l’impression que ce même climat est vécu par les élèves entre eux.

Je souhaite terminer cet article par une observation qui m’a touché en profondeur et concerne le relationnel entre Imanol, un garçon atteint de dystrophie musculaire et ses camarades lors d’un cours d’EPS. On les a vus jouer ensemble d’abord au jeu où il faut attraper le chiffon accroché au dos d’un élève qui court (et c’était aussi Imanol !), puis à une compétition par équipes où il faut réaliser une course de relais. Non seulement il n’y a eu aucune discussion pour intégrer ce garçon dans un groupe, mais, en plus, les camarades ont fait le possible pour rattraper le retard pris par Imanol et le groupe s’est classé deuxième sur cinq. Et puis, après la sonnerie, en cours ordinaire où l’élève interagit comme les autres avec l’enseignante et ses camarades.

Des rires, des jeux et des équipes d’adolescents qui réalisent l’inclusion, celle que l’on rêve, que l’on cherche avec acharnement et qui est, pour le moment, trop absente de nos établissements scolaires.

J’ouvre ce thème, sans aller plus loin pour le moment, volontairement en Espagne, car les dispositifs institutionnels pour l’inclusion d’élèves à besoins particuliers ne diffèrent pas beaucoup de la France (une unité similaire aux ULIS par exemple, la présence de personnels équivalent AESH etc.). Néanmoins, tout au long de mes années d’enseignement, je n’ai pas eu la chance de rencontrer un Imanol dans mes classes, je ne l’ai pas vu dans les couloirs des établissements où j’ai été affecté, je l’ai entrevu jouer seul au ballon dans une cour de collège lors d’une visite INSPE. Je rêve d’avoir un Imanol dans ma classe et, pour cela, je suis persuadé qu’il est nécessaire de passer par des choix institutionnels, voire politiques. On en verra quelques exemples lors de notre prochain voyage qui nous amènera en Sicile.

 

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Les chantiers de pédagogie mathématique n°192 avril 2022
La Régionale Île-de-France APMEP, 26 rue Duméril, 75013 PARIS