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Avis de Recherche
Article mis en ligne le 21 mars 2016
dernière modification le 26 décembre 2020

par Alain Bougeard

Rappel de l’Avis de Recherche n° 2

Sur deux demi-droites de l’espace d’origine $A$ et $B$, Alice et Bob se déplacent en astronefs à la même vitesse constante en partant respectivement de $A$ et de $B$.

Existe-t-il une position $M$ pour Alice et $N$ pour Bob telles que $AM = MN = NB$ ?

Cet avis de recherche est inspiré de la "question de logique" n° 941, d’Élisabeth Busser et Gilles Cohen, parue dans le monde du 2 décembre 2015 qui posait la même question… dans le plan (sans le dire expressément d’ailleurs).

Perplexité

La solution m’a laissé perplexe :

Dès lors que les chemins ne s’écartent pas trop, il existe une unique position où la distance entre les points où ils se trouvent est celle qu’ils viennent de parcourir.

On considère deux fonctions affines du temps : la distance commune parcourue et celle entre les deux positions. La première est continue et croissante, tandis que l’autre, continue aussi, décroit si les chemins se rapprochent, est constante s’ils sont parallèles et croit moins vite s’ils ne s’écartent "pas trop" (on peut calculer précisément quand). Dans ces cas, il y aura une unique solution.

Outre le flou sur les chemins qui ne s’écartent "pas trop", il existe quand même un affirmation péremptoire mais fausse. Que la distance $AM = BN$ soit une fonction affine du temps nul ne songe à le nier puisque le mouvement est uniforme (on pourrait même la qualifier de linéaire en choisissant "astucieusement" l’origine des temps et même poser $AM = BN = t$ en choisissant comme il convient l’unité de temps) mais que la fonction qui à tout instant $t$ associe la distance $MN$ soit affine voila qui est plus mystérieux. Surtout que, comme le remarque les auteurs, lorsque les chemins "se rapprochent" la distance $MN$ diminue mais ensuite il est facile de voir qu’elle augmente, ce qui est difficilement réalisable pour une fonction affine.

Avant d’entreprendre tout calcul et a fortiori toute construction géométrique à la règle et au compas, essayons de comprendre ce qui se passe à l’aide de la géométrie expérimentale. À moi GeoGebra !

Dans un repère orthonormé $(O, \vec{\imath}, \vec{\jmath})$ on place les bases de départ $A = (-\dfrac{d}{2},0)$ et $B = (\dfrac{d}{2},0)$ et les vecteurs unitaires de lancement $\vec{u} = (\cos a, \sin a)$ ($a$ variant de $0°$ à $180°$) et $\vec{v} = (\cos b, \sin b)$ ($b$ variant de $0°$ à $360°$). On ajoute un curseur temps t que l’on peut faire varier (dans les deux sens !) et les points $M$ et $N$, sur leur trajectoire respectives, tels que $AM = BN = t$. Enfin un point $H = (t,MN)$ dont on fait apparaître le lieu géométrique $(C)$ représentant les variations de $MN$ en fonction du temps… et qui n’a manifestement pas l’allure d’une droite en général. On peut chercher à quel moment $MN = t$ en regardant s’il existe des points d’intersection entre la courbe $(C)$ et la 1° bissectrice. Et l’on voit que l’on peut obtenir 0, 1 ou 2 points ce qui évoque beaucoup plus le comportement d’une conique que d’une droite. Enfin si l’on pousse le vice jusqu’à considérer que l’on puisse avoir $d = 0$ c’est à dire $A = B$ on peut trouver 0,1 ou une infinité de points ce qui peut évoquer le comportement d’une conique dégénérée (par le vice…).

Expérimentons

Vous pouvez expérimenter vous-mêmes :

Restait à prouver par le calcul que la courbe était bien une conique (ce que l’on pouvait intuiter avec GeoGebra en posant 5 points sur la courbe et en lui faisant tracer l’unique conique passant par ces 5 points qui semblait bien coïncider avec la courbe). Restait aussi à discuter l’existence et le nombre de solutions.

J’avoue ne pas avoir eu le moral sur ce coup car j’ai eu la faiblesse de choisir la méthode analytique lourde et pataude d’autant plus que je pensais constamment "mais comment vais-je faire en dimension 3 avec 4 paramètres au lieu de 2 ?". Et pourtant combien de fois ai-je répété à mes élèves que la géométrie analytique était la géométrie du pauvre... d’esprit qui n’ayant pas d’idées fait des calculs. (Je sais : des fois on ne peut pas faire autrement mais il faut en être sûr en ayant au moins réfléchi aux diverses autres possibilités).

Heureusement un lecteur assidu, Salvatore Tummarello, le roi des tortues volantes, m’a envoyé une solution efficace et valable dans toutes les dimensions puisqu’on ne s’en occupe pas. Il avait choisi la bonne méthode : la géométrie vectorielle.

Avis de recherche n°2 : proposition de solution

On suppose que l’espace ambiant est euclidien. $O$ étant le milieu du segment $[AB]$, la droite $(AB)$ étant munie du vecteur unitaire $\vec{\imath}$, $A$ et $B$ valent $−\dfrac{d}{2}$ et $\dfrac{d}{2}$ respectivement (avec $d$ positif ou nul).

La vitesse (scalaire) étant commune aux deux astronefs, on peut trouver une unité de temps telles que cette vitesse soit égale à 1. En notant M et N les positions respectives d’Alice et Bob à l’instant t, on aura ainsi $AM = BN = t$.

Les trajectoires des deux voyageurs sont alors facilement paramétrées par le temps : en notant $\vec{u}$ et $\vec{v}$ qui dirigent les trajectoires rectilignes d’Alice et Bob respectivement, on a, pour tout$ t \geq 0$ : $\overrightarrow{OM} = −\dfrac{d}{2}\vec{\imath} + t\vec{u}$ et $\overrightarrow{ON} = \dfrac{d}{2}\vec{\imath} + t\vec{v}$

On en déduit immédiatement l’expression suivante de $\overrightarrow{MN}$ : $\overrightarrow{MN} = d\vec{\imath} + t(\vec{v}-\vec{u}) = d\vec{\imath} + t\vec{w}$ où l’on a posé $\vec{w} = \vec{v} - \vec{u}$.

Notant $w_x$ l’abscisse du vecteur $\vec{w}$, le carré $MN^2$ s’écrit alors $MN^2 = (d + tw_x)^2 + t^2 \Vert\vec{w}\Vert^2 - t^2w_x^2 = d^2 + 2dw_xt + \Vert\vec{w}\Vert^2t^2$

On obtient finalement la ou les position(s) recherchée(s) en déterminant les instants t solutions de l’équation du second degré$ MN^2 = AM^2 = BN^2 = t^2$, qui s’écrit $d^2 + 2dw_xt + \Vert\vec{w}\Vert^2 = t^2$ et se transforme en $d^2 + 2dw_xt +\left( \Vert\vec{w}\Vert^2 - 1\right)t^2 = 0$ $(E)$

La résolution de cette équation nécessite de distinguer différents cas.

Premier cas : $\Vert\vec{w}\Vert^2 = 1$

  • si $w_x = 0$
    • si $d = 0$, tous les temps sont solutions (et AMN est équilatéral pour tout $ t \gt 0$).
    • si $d \neq 0$, le problème n’a pas de solution.
  • si $w_x \neq 0$, alors $t = -\dfrac{d}{2w_x}$ donne une solution ssi $w_x \lt 0$.

Second cas : $\Vert\vec{w}\Vert^2 \neq 1$

(E) admet alors pour discriminant $\Delta = 4d^2 \left(w_x^2 + 1 - \Vert\vec{w}\Vert^2\right)$

  • si $1 - \Vert\vec{w}\Vert^2 \lt -w_x^2$, le problème n’a pas de solution.
  • si $1 - \Vert\vec{w}\Vert^2 = -w_x^2$, la solution t de $(E)$ donne une solution au problème ssi $w_x \lt 0$.
  • si $1 - \Vert\vec{w}\Vert^2 \gt -w_x^2$ , les solutions de (E) sont : $t = d\dfrac{w_x ± \sqrt{1 - \Vert\vec{w}\Vert^2 + w_x^2}}{1 - \Vert\vec{w}\Vert^2}$
    • si $1 - \Vert\vec{w}\Vert^2 \lt 0$, alors $ \sqrt{1 -\Vert\vec{w}\Vert^2 + w_x^2} \lt \mid w_x \mid$
      • si $w_x \lt 0$, alors le numérateur des solutions est négatif, ce qui fournit deux solutions au problème.
      • si $w_x \gt 0$, alors le numérateur est positif, il n’y a pas de solution.
      • le cas $w_x = 0$ est incompatible avec les hypothèses faites.
    • si $1 - \Vert\vec{w}\Vert^2 \gt 0$, alors $ \sqrt{1 -\Vert\vec{w}\Vert^2 + w_x^2} \gt \mid w_x \mid$

On peut alors vérifier que $ w_x + \sqrt{1 -\Vert\vec{w}\Vert^2 + w_x^2} \gt 0$ et $ w_x - \sqrt{1 -\Vert\vec{w}\Vert^2 + w_x^2} \lt 0$.

Le problème admet donc une solution dans ce cas, pour $t = d\dfrac{w_x+\sqrt{1 - \Vert\vec{w}\Vert^2 + w_x^2}}{1 - \Vert\vec{w}\Vert^2}$.

Voilà donc une magnifique solution qui répond complètement à la question posée par une discussion des zéros positifs du trinôme $at²+bt+c$ et qui justifie l’étude expérimentale menée sur GeoGebra.

Merci Salvatore.

Avis de recherche n°3

Quel est le nombre minimum de carrés à côtés entiers nécessaires pour paver un rectangle de côtés $n$ et $m$ entiers ($n \lt m$).

Évidemment l’idéal serait de trouver une formule $K(n,m)$ donnant ce nombre minimum. Mais dès que l’on commence la recherche on se rend compte combien cet idéal semble utopique et qu’un moyen plus prosaïque de trouver à coup sûr le résultat pour un couple $(n,m)$ donné, particulièrement pour $n \lt m \lt 2n$, serait déjà satisfaisant.



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Les chantiers de pédagogie mathématique n°168 mars 2016
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