Avis de recherche de juin 2020
Dans le numéro 185 des Chantiers de juin 2020, Georges Camguilhem avait proposé une « Itération dans le triangle » dont voici l’énoncé :
Soit un triangle $ABC$ inscrit dans un cercle. La bissectrice de l’angle $\widehat{A}$ coupe le cercle en $A_1$, celle de l’angle $\widehat{B}$ en $B_1$ et celle de l’angle $\widehat{C}$ en $C_1$. On réitère sur le triangle ${A_1}{B_1}{C_1}$… …on obtient une suite de triangles $({A_n}{B_n}{C_n})_{n \in \mathbb{N}^*}$ ayant comme forme limite un triangle… ? …équilatéral ? |
Après une première étude à l’aide de GeoGebra et une résolution matricielle parues dans le n° 186 d’octobre 2020, voici un nouvel éclairage sur cet avis de recherche :
Solution de Pierre Delezoide :
Soient $A$, $B$, $C$ formant un triangle direct sur le cercle, avec des angles polaires $a$, $b$, $c$ où $a \lt b \lt c$ et $(c-a) \lt 2\pi$.
La bissectrice intérieure en $A$ recoupe le cercle en $A^\prime$ dont un angle polaire est $ \dfrac{b + c}{2} $, la bissectrice intérieure en $C$ recoupe le cercle en $C^\prime$ dont un angle polaire est $\dfrac{a + b}{2}$. Pour obtenir le point $B^\prime$, il faut prendre la moitié de l’arc entre $A$ et $C$ qui ne contient pas $B$. On ne va pas de $C$ d’angle polaire $c$ à $A$ d’angle polaire $a$, mais à $A$ d’angle polaire $a + 2\pi$ et $B^\prime$ est au milieu du parcours, avec un angle polaire $ \dfrac{(a + 2\pi) + c}{2} $.
En procédant de même pour les bissectrices extérieures, ou en considérant que les angles polaires des points sont les symétriques de $A^\prime$, $B^\prime$ et $C^\prime$ par rapport au centre, on obtient les points $A_{1}$, $B_{1}$ et $C_{1}$ d’angles polaires qu’on peut, modulo $2\pi$, fixer à :
$$a_{1} = \dfrac{b + c}{2}-\pi \qquad b_{1} = \dfrac{a + c}{2} \qquad c_{1} = \dfrac{a + b}{2} + \pi$$
On vérifie facilement $a_{1} \lt b_{1}\lt c_{1}$ et $c_{1} -a_{1} \lt 2\pi$.
Quand on itère, on définit trois suites $a_n$, $b_n$ et $c_n$ telles que $a_n \lt b_n \lt c_n$, $c_n -a_n \lt 2\pi$, vérifiant :
$$a_{n+1} = \dfrac{b_n + c_n}{2} - \pi\qquad b_{n+1} = \dfrac{a_n + c_n}{2}\qquad c_{n+1} = \dfrac{a_n + b_n}{2} + \pi$$
Par conséquent, la somme $a_n + b_n + c_n$ est constante — soit $s$ cette somme — et on obtient :
$$c_{n+1} -b_{n+1} = \pi - \dfrac{c_n -b_n}{2} \qquad b_{n+1} -a_{n+1} = \pi - \dfrac{b_n -a_n}{2}$$
Les suites $\left(c_n -b_n\right)$ et $\left(b_n -a_n\right)$ sont convergentes vers le point fixe $ \dfrac{2\pi}{3}$.
Donc, comme : $3b_n = \left(a_n + b_n + c_n\right) + \left(b_n -a_n\right) - \left(c_n -b_n\right)$, on en déduit :
$$b_n \underset{n\to\infty}{\longrightarrow} \dfrac{s}{3} \qquad a_n \underset{n\to\infty}{\longrightarrow} \dfrac{s}{3} - \dfrac{2\pi}{3} \qquad c_n \underset{n\to\infty}{\longrightarrow} \dfrac{s}{3} +\dfrac{2\pi}{3}$$
Le triangle correspondant converge vers un triangle équilatéral direct, le point $B_n$ converge vers le point d’angle polaire $\dfrac{a+b+c}{3}$.
Le triangle obtenu avec les bissectrices intérieures va pour les indices pairs converger vers ce triangle équilatéral, et pour les indices impairs vers son symétrique par rapport au centre.
Et ensuite ...
Parmi les nombreuses généralisations proposées par Georges Camguilhem, que se passe-t-il si l’on remplace le triangle par un polygone à $n$ côtés ?
Le cas $n$ = 4 est particulièrement intéressant.
Soit le quadrilatère (inscriptible) $ABCD$ dont les sommets ont pour angles polaires a, b, c et d vérifiant $a \lt b \lt c \lt d $ et $(d-a) \lt 2\pi$.
En reprenant le raisonnement de Pierre Delezoide nous allons avoir un problème car, dans le quadrilatère $ABCD$ par exemple, le point $A_1$ dont un angle polaire est $ \dfrac{b + d}{2} $ représentera l’intersection du cercle avec la bissectrice intérieure ou extérieure selon que l’angle $\widehat{BAD}$ est aigu ou obtus.
Mais cet inconvénient devient un avantage si l’on remarque que les angles $\widehat{BAD}$ et $\widehat{BCD}$ sont supplémentaires et par conséquent les points $A_1$ et $C_1$ sont symétriques par rapport à $O$ le centre du cercle. Il en est de même pour les angles $\widehat{ABC}$ et $\widehat{ADC}$ donc les points $B _1$ et $D_1$ sont également symétriques par rapport à $O$.
Ainsi, le quadrilatère $A_1 B_1 C_1 D_1$ est un parallélogramme et, comme ses diagonales ont même longueur (le diamètre du cercle), c’est un rectangle.
Si l’on continue à partir de ce rectangle, l’abondance d’angles droits, d’angles de 45° et de droites parallèles permet de prouver que l’image est un rectangle par une transformation conforme avec un point O invariant, qui conserve globalement les dimensions du rectangle mais qui n’est pas une isométrie (sauf dans le cas du carré) puisque la longueur $AB$ n’est pas égale à la longueur $A_1B_1$ !
Mais qu’est-ce alors ?
Nous continuerons dans le prochain numéro les généralisations proposées par Georges.
Avis de recherche d’octobre 2020
Dans le numéro 186 des Chantiers d’octobre 2020, nous avions proposé :
Sur les développements décimaux de quelques inverses… $\dfrac{1}{9^2}=\dfrac{1}{81}=0,\overline{0\:1\:2\:3\:4\:5\:6\:7\:9}$ $\dfrac{1}{99^2}=\dfrac{1}{9 \, 801}=0,\overline{00\:01\:02 …\:97\:99}$ $\dfrac{1}{999^2}= \cdots$ Et ensuite ? |
Pierre Delezoide nous propose la démonstration suivante :
Si $n$ est premier avec 10, la périodicité du développement décimal de $\dfrac{1}{n}$ est l’ordre multiplicatif de 10 modulo $n$ ; de plus la périodicité commence au premier rang.
Si : $\dfrac{1}{n}=0,\overline{a_1\ldots a_p}\ldots\text{ alors }\dfrac{10^p}{n}=\overline{a_1\ldots a_p}+0,\overline{a_1\ldots a_p}\ldots = \overline{a_1\ldots a_p}+\dfrac{1}{n}$, on obtient ainsi la séquence répétée comme écriture de $Q_p = \dfrac{10^p-1}{n}=\overline{a_1\ldots a_p}$.
Pour résumer, la période est le premier entier $p$ tel que $Q_p$ soit entier et la séquence de chiffres répétée est l’écriture de l’entier $Q_p$. Cette écriture doit avoir pour longueur $p$ et doit donc être complétée par des 0 en tête le cas échéant, c’est-à-dire si $n \gt 10$.
Ici $n = \left(10^s -1\right)^2$ est bien premier avec 10. On cherche les entiers $k$ tels que$\left(10^s -1\right)^2$ divise $(10^k -1)$. Une CN (condition nécessaire) est que $10^s -1$ divise $10^k -1$.
Si $k = qs + r$ (division euclidienne par $s$) alors : $10^k -1 = (10^{qs} -1)10^r + 10^r -1$
Comme $10^{qs} = \left(10^s\right)^q \equiv 1^q \text{modulo }10^s -1$, la CN est vérifiée ssi $10^s -1$ divise $10^r -1$. Cela n’est possible que si$r = 0$ car $r \lt s$ donc $10^r -1 \lt 10^s -1$.
La CN est donc vérifiée si et seulement si $k = sh$. Dans ce cas, en posant $n_s = 10^s -1$ :
Par conséquent $n^2_s$ divise $10^k -1$ ssi $n_s$ divise $h$. La période cherchée est donc $sn_s$.
Pour obtenir la séquence répétée, on calcule le quotient $Q = \dfrac{10^{s n_s}-1}{n^2_s}$ en utilisant l’identité remarquable :
$$x^m -1 = (x -1) \left(x^{m-1} + \ldots + 1\right) \quad \text{où}\quad x = 10^s, \quad x -1 = n_s, \quad m = n_s$$
ce qui donne :
$$Q = \dfrac{\left(10^s\right)^{n_s} -1}{n^2_s} = \dfrac{n_s \sum\limits_{h=0}^{n_s-1}\left(n_s + 1\right)^h}{n^2_s} = \dfrac{\sum\limits_{h=0}^{n_s-1}\left(n_s + 1\right)^h}{n_s}$$
Le numérateur est une somme de $n_s$ termes donc :
$$Q = 1 + \dfrac{\sum\limits_{h=0}^{n_s-1}\left(n_s + 1\right)^h-1}{n_s}=1+\dfrac{\sum\limits_{h=1}^{n_s-1}\left(n_s + 1\right)^h-1}{n_s}$$
En procédant comme dans la première simplification :
$$Q = 1 + \sum\limits_{h=1}^{n_s-1}\sum\limits_{k=0}^{h-1}\left(n_s + 1\right)k = 1 + \sum\limits_{0\leqslant k \lt h \lt n_s} \left(10^s\right)^k = 1 + \sum\limits_{k=0}^{n_s-1} \left(n_s -k -1\right) \left(10^s\right)k$$
L’écriture de $Q$ doit être de longueur $s n_s$ ; les chiffres peuvent être regroupés en $n_s$ paquets de longueur $s$, ce qui correspond à la somme qui donne $Q$. Si on lit cette écriture de gauche à droite, il faut faire décroître $k$ de $n_s -1$ à 0. Le premier paquet ne contient que des 0, ce qui est attendu, le second est l’écriture de 1 mais précédée de $p -1$ zéros, etc. l’avant dernier correspondant à $k = 1$ est l’écriture de $n_s -2 = 10^s -3 = 9 \ldots 97$ et le dernier, correspondant à $k = 0$, est l’écriture de $n_s -1$ mais à laquelle il faut ajouter le 1, ce qui donne $9 \ldots 98 + 1 = 9 \ldots 99$.
Généralisation : développement de $\dfrac{1}{\left(10^s-1\right)^k}$ ?
Daniel Perrin nous propose une démonstration plus structurée en lemme, théorème et des esquisses de corollaires :
Le théorème
Le développement décimal de l’inverse du nombre $x_n = (99 \ldots 9)^2$, avec $n$ chiffres 9, est de la forme $0,AA\ldots A\ldots$ où la période $A$ est la suite de chiffres : $00\ldots 00,~; 00 \ldots 01,~; 00 \ldots 02,\quad \ldots \quad 99 \ldots 96,~; 99 \ldots 97,~; 99 \ldots 99$ c’est-à-dire la suite de tous les $10^n-1$ paquets de $n$ chiffres allant de $00 \ldots 000$ à $99 \ldots 999$ à l’unique exception de $99 \ldots 998$. |
La preuve
Notons déjà que l’on a $99 \ldots 9 = 10^n - 1$ si le premier membre admet $n$ chiffres 9.
On appelle $a$ l’entier qui correspond à l’écriture $A$ en système décimal :
$$a =\sum\limits_{p=1}^{10^n-3} p 10^{n\times \left(10^n-p-2\right)}+10^n - 1$$
La différence entre $a$ et $A$ est la présence de $2^n - 1$ zéros en tête de $A$.
Le point crucial est de montrer le lemme :
On a la formule : $a \times \left(10^n - 1\right) = \sum\limits_{k=0}^{10^n-2} 10^{nk} := S.$ |
Le premier membre s’écrit : $a \times \left(10^n - 1\right) = \sum\limits_{p = 1}^{10^n-3} \left(p 10^{n\left(10^n-p-1\right)}-p 10^{n\left(10^n-p-2\right)}\right) + \left(10^n - 1\right)^2.$
Le premier terme du premier membre ($p = 1$) donne le terme $10^n\left(10^n-2\right)$ de $S$.
Ensuite, dans les termes correspondant à $p$ et $p + 1$, le terme en $10^n\left(10^n-p-2\right)$ a pour coefficient $p+1-p$, donc 1. Avec tous les termes de $p = 1$ à $10^n -3$, à l’exception de la deuxième moitié du dernier terme, on obtient la somme $\sum\limits^{10^n-2}_{k=2} 10^{nk}$.
Il reste à regarder les termes de la fin. Le seul terme restant de la somme est $-\left(10^n - 3\right)10^n$. Avec le terme supplémentaire $\left(10^n - 1\right)^2 = 10^{2n} - 2 \times 10^n + 1$, on obtient $10^n + 1$ et on a le résultat.
On peut alors prouver le théorème.
Considérons le nombre $y_n$ donné par le développement décimal périodique $0,AA\ldots A\ldots$. Il s’agit de montrer qu’on a $y_n = \dfrac{1}{x_n}$. La période $A$ comporte $N = n\times \left(10^n-1\right)$ chiffres. En multipliant le développement par $10^N$ (voir par exemple [1] Remarques 2.29) on sort une période et on a : $10^N y_n = a,AA\ldots A\ldots = a+y_n$, autrement dit $\left(10^N-1\right)y_n = a$ et on aura le résultat si l’on montre que l’on a : $10^N - 1 = ax_n.$
Mais l’identité $u^r-1 = (u-1)\left(1+u+\cdots+u^{r-1}\right)$, appliquée avec $u = 10^n$ et $r = 10^n - 1$ donne :
$$10^N - 1 = \left(10^n - 1\right)\left(1 + 10^n + 10^{2n} + \cdots + 10^{n\times \left(10^n-2\right)}\right) = \left(10^n - 1\right)S$$
et le lemme donne le résultat, après simplification du facteur $10^n - 1$.
Remarques
- Pour d’autres résultats amusants sur les quatre-vingt-unièmes, voir la page « Un joli problème d’arithmétique »
- L’avis de recherche demandait de proposer d’éventuelles généralisations : je n’en ai pas trouvé de pertinentes (hormis la variante du théorème dans une autre base, mais elle n’est pas très exaltante). Ainsi, le développement de $ \dfrac{1}{9^3} $ admet une période de longueur 81 dont la régularité ne saute pas aux yeux.
Et un nouvel Avis de Recherche pour Noël...
En l’an de grâce deux-mil-dix-neuf, avant le couronnement du virus, 2019 mathématiciens tenaient congrès. Mathématiquement ils s’appelaient $M_1, M_2, \ldots M_ {2019}$. N’étant pas tenus de garder les distances sociales, ils s’étaient serrés la main à la façon des mathématiciens c’est-à-dire que $M_1$ avait serré une main, $M_2$ deux, $M_3$ trois, …et $M_ {2018}$ deux-mille-dix-huit. Mais combien $M_{2019}$ avait-il serré de mains ? |
Pour cet avis de recherche, ainsi que des compléments sur des avis précédents, écrivez-nous à l’adresse des problèmes des Chantiers.
La Régionale Île-de-France APMEP, 26 rue Duméril, 75013 PARIS