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Cas d’égalité : quel langage ?
l’avis du groupe Géométrie de l’IREM de Paris
Article mis en ligne le 8 juillet 2024
dernière modification le 6 juillet 2024

par Daniel Perrin

 

Introduction

Il s’agit d’un article portant sur les cas d’égalité des triangles paru dans le numéro 200 d’avril 2024 : je réponds à cet article en tant qu’actuel responsable du groupe IREM Géométrie de l’université Paris Cité, l’auteur de l’article sollicitant lui-même l’avis du groupe Géométrie.

La position du groupe est décrite, en détail, dans la brochure numéro 100 de l’IREM : Enseigner la géométrie au cycle 4. Voir notamment les chapitres 4 et 6, mais aussi la banque d’exercices et les annexes théoriques. Toutes les réponses aux questions de l’auteur de l’article sont explicitées dans cette brochure, citée [B] dans ce qui suit.

Voir aussi, toujours sur le site de l’IREM de Paris, dans l’onglet du groupe Géométrie, la Foire Aux Questions et notamment le numéro 6 (cité [FAQ] ).

Comme la brochure [B] comporte plus de 260 pages, il n’est peut-être pas inutile de fournir ici des éléments de réponse concernant précisément les questions posées dans l’article de Pierre Dolain.

 

Des réponses

D’une manière générale, le groupe Géométrie n’est pas en désaccord avec l’auteur de l’article, sauf sur le point de la définition des triangles isométriques.

Les mots

Notons d’abord que l’auteur de l’article ne met pas en cause l’utilité des cas d’isométrie (ou d’égalité) des triangles, qui est pourtant le point qui semble faire débat parmi les professeurs et sur lequel le groupe Géométrie a beaucoup travaillé.

Pour une étude précise de ce point, avec des arguments détaillés sur l’intérêt de l’usage des cas d’isométrie, voir [B] Ch. 4 II p.50. Sur les mots utilisés (égaux, isométriques), voir [B] Ch. 1 p. 18 ou [FAQ] §1. Nous n’avons pas de divergence avec l’auteur de l’article là-dessus.

 

Comment dire les choses

Commençons par les objections de l’auteur de l’article sur la formulation de la définition des triangles égaux et des cas d’égalité.

Il y a d’abord le mot superposable. C’est vrai que ce mot n’a pas un sens mathématique précis, ou plutôt qu’il ne peut en avoir un sans le recours à des notions qui ne sont pas vraiment au programme du collège. Nous pensons toutefois qu’il peut être utile, voir plus loin le paragraphe qui concerne le choix de la définition.

La principale difficulté de Jeanne semble être l’apprentissage par cœur des énoncés. Mais, plutôt que l’apprentissage mot à mot d’un théorème, il nous semble plus important de savoir l’utiliser en étant capable d’en reconnaître les hypothèses et les conclusions, notamment sur une figure. C’est d’autant plus vrai lorsque l’énoncé donné n’est pas exempt d’imprécision ou d’ambiguïté. Là-dessus nous sommes en accord avec l’auteur de l’article.

Un autre point d’accord concerne l’usage des mots pour donner la définition et les énoncés des théorèmes concernant les cas d’égalité. C’est vrai que, tels qu’ils apparaissent dans le cours de l’élève, ils sont ambigus. Par exemple, quand on dit que deux triangles ont deux côtés égaux, on peut, avec un zeste de mauvaise foi, comprendre qu’il s’agit de deux triangles isocèles (l’égalité entre côtés est-elle interne aux triangles ou entre les deux ?). Pour supprimer cette ambiguïté on utilisait autrefois des expressions comme égaux chacun à chacun mais elles ne sont guère plus parlantes.

Nous sommes aussi d’accord, à 100 % (au moins !), avec l’auteur de l’article pour adosser ces résultats à des figures emblématiques qui permettent de les comprendre. C’est le cas dans le cours de Jeanne. C’est un point indispensable et ce dessin doit être codé de manière à faire apparaître les sommets et les côtés homologues (notion essentielle et souvent passée sous silence dans les manuels).

De ce point de vue, il y a un autre élément, sur lequel le groupe IREM insiste beaucoup, et qui n’est pas repris — semble-t-il — dans le cours de Jeanne, c’est l’usage des sigles CAC, ACA et CCC pour décrire ces théorèmes, abréviations de côté-angle-côté, angle-côté-angle et côté-côté-côté. C’est un moyen très parlant de retenir les résultats et il mène aussi au moyen pratique de les utiliser qui consiste à mettre l’un sous l’autre les sommets homologues, ce qui permet à la fois de repérer les hypothèses et les conclusions, voir ci-dessous.

Donner un énoncé dépourvu d’ambiguïté n’est pas facile si on tient à le donner sans nommer les sommets.

Voici deux propositions :

Cas d’égalité ACA
Si deux triangles sont tels que deux angles du premier sont égaux à deux angles du deuxième et que les longueurs des côtés qui joignent les sommets de ces angles sont égales, les triangles sont égaux.
 
Cas d’égalité CAC
Si deux triangles ont un angle égal et que les côtés qui entourent cet angle dans un triangle ont la même longueur que ceux qui entourent l’angle égal dans l’autre triangle, ces triangles sont égaux.

Je considère, pour ma part, que ces énoncés sont bien lourds et que, si l’on veut donner un énoncé sans ambiguïté, le plus simple est de nommer les choses. Le cas d’égalité CAC devient alors :

Théorème
Soient $ABC$ et $A’B’C’$ deux triangles. On suppose qu’on a les égalités de longueur $AB = A’B’$ et $AC = A’C’$ (deux côtés égaux) et $\widehat{BAC} = \widehat{B’A’C’}$ (les angles compris entre les côtés égaux sont égaux). Alors les triangles sont égaux (ou isométriques) et l’on a aussi $BC = B’C’$, $\widehat{ABC} = \widehat{A’B’C’}$ et $\widehat{ACB} = \widehat{A’C’B’}$.

Remarques

  • Nous retenons à dessein le mot « théorème », les cas d’égalité sont des théorèmes, voir la discussion sur la définition plus loin.
     
  • Attention, tous les collègues du groupe IREM ne sont pas d’accord sur ce fait de nommer les sommets, par crainte que les élèves ne sachent pas ensuite faire l’adaptation aux diverses situations où les noms des points seront différents. On peut penser cependant que le gain de clarté dans l’énoncé du théorème l’emporte sur cet inconvénient [1] . Mais c’est aussi pourquoi nous avons choisi, dans l’énoncé du théorème, de paraphraser les écritures en symboles, qui sont sans ambiguïté, par des mots qui les expliquent, par exemple le fait que l’angle égal soit situé entre les côtés égaux.
     
  • Sur ce dernier point, pour le cas CAC, le fait que l’angle soit compris entre les côtés est important (voir l’analyse de [B] Annexe §9 p. 246). Pour ACA en revanche, à cause de la somme des angles du triangle, il n’est pas nécessaire que le côté soit entre les angles.
     
  • Comme on l’a dit, la disposition des noms des triangles l’un sous l’autre :
     
    $ABC$
    $A’B’C’$

    fournit un procédé sémiotique qui permet de repérer aisément les hypothèses et les conclusions du théorème sans être obligé de revenir toujours à la figure et cela vaut dès qu’on a repéré les éléments homologues. Pour un exemple d’application pratique, voir l’exemple donné ci-dessous.

 

Démontrer les cas d’égalité ?

L’auteur de l’article l’évoque : Je ne sais pas si à ce stade une démonstration est pertinente.

Nous sommes bien d’accord sur ce point, d’autant qu’il n’est pas clair du tout de savoir comment on peut prouver les cas d’égalité ! Cela peut sembler contradictoire avec ce qui a été dit plus haut puisqu’il s’agit de théorèmes, donc des assertions que l’on doit pouvoir démontrer. Soyons donc précis.

  • L’histoire d’abord. Le cas d’égalité CAC est la proposition 4 du livre I des Éléments d’Euclide [2] et il y a une « démonstration ». Mais cette démonstration n’en est pas une car Euclide utilise une notion qu’il n’a pas définie auparavant : …si l’on appliquait le triangle $ABC$ sur $A’B’C’$
     
    C’est un point connu depuis longtemps et Hilbert dans sa refonte des Éléments d’Euclide en 1900 en est tellement conscient qu’il prend le cas CAC comme axiome, solution correcte, mais brutale.
  • Avec les outils modernes et notamment les transformations, il n’y a plus de difficulté, les cas d’égalité sont des critères de transitivité : il existe une isométrie envoyant un triangle $ABC$ sur $A’B’C’$ si et seulement si on a l’une des trois propriétés CAC, ACA ou CCC. Là-dessus, aucun doute, mais sauf à revenir à l’époque des maths modernes, pas de possibilité de faire cela au collège. En revanche, que les professeurs aient ce point de vue en arrière-plan nous semble utile.
  • Que faire au collège ? Il y a une idée, tentante, qui consiste à prouver, disons CAC, en utilisant la symétrie axiale que l’on étudie en sixième.
     
    Une première objection c’est que cela requiert une manipulation ensembliste de la symétrie qui n’est pas vraiment dans l’air du temps à ce niveau.
     
    Il y en a une seconde, bien plus sérieuse. En effet, pourquoi donner une preuve des cas d’égalité, sinon par souci de rigueur et de cohérence ? Or, se ramener à la symétrie ne fait que déplacer le problème car les propriétés de cette transformation sont admises en sixième (et pas tout à fait évidentes à prouver).
  • Notre proposition consiste à revenir à Euclide et à ce qu’on faisait autrefois : transporter un triangle sur l’autre en faisant d’abord coïncider un sommet, puis un côté, etc. Cela se fait très bien avec des triangles en carton sur un tableau, ou avec GeoGebra.
     
    Bien sûr, ce n’est pas une démonstration, et il faut que les professeurs en soient conscients, mais c’est une argumentation expérimentale, très convaincante pour les élèves.
     
    C’est ici qu’apparaît le mot « superposable ». On peut commencer par définir intuitivement les triangles isométriques (ou superposables) comme deux triangles obtenus l’un à partir de l’autre par glissement ou retournement.
     
    Ces mots n’ayant pas été définis précisément, cette définition reste imprécise mais on peut la rendre rigoureuse, ainsi que la preuve d’Euclide, en ajoutant un axiome d’homogénéité du plan. Savamment il s’agit de l’existence d’un groupe de « mouvements » qui soit simplement transitif sur les drapeaux. Voir là-dessus [B] Annexe 1 [3] où l’on explique cette idée.
     
    Là encore, il est utile que les professeurs aient réfléchi à ce point, pas si éloigné de l’intuition qu’on pourrait le croire. Par exemple : que signifie le fait que deux longueurs sont égales, sinon, au fond, qu’on peut amener l’une sur l’autre par un mouvement, une isométrie,…

 

La définition

C’est le point sur lequel nous avons une vraie divergence avec l’auteur de l’article. Il dit : Pour revenir à la définition des triangles égaux en classe de 4e, le mieux serait (à mon avis) de prendre l’une des trois propriétés et de dire que les deux autres sont équivalentes. Personnellement je choisirais comme définition la propriété 3.

Deux points de désaccord. D’abord, si l’on veut vraiment utiliser les cas d’égalité c’est sans doute mieux de les étudier en cinquième. Surtout, nous ne sommes pas d’accord avec le fait de donner la définition de triangles égaux comme des triangles ayant leurs trois côtés égaux (comme le font beaucoup de manuels). Notre proposition est de dire, comme dans le cours de Jeanne, que deux triangles sont isométriques s’ils ont leurs côtés deux à deux de même longueur et leurs angles deux à deux égaux. Voir la discussion sur ce sujet dans [B] p. 19 ou [FAQ].

Nos arguments sont les suivants.

Comme on l’a dit, le principe mathématique qui sous-tend cette position est que les cas d’isométrie sont des critères de transitivité : étant donnés deux triangles, à quelles conditions existe-t-il une isométrie qui envoie l’un sur l’autre ? Bien entendu, au collège cette définition via les isométries n’est pas raisonnable et c’est pourquoi nous proposons un compromis.

On peut commencer par définir intuitivement les triangles isométriques (ou superposables) comme deux triangles obtenus l’un à partir de l’autre par glissement ou retournement. Une conséquence de cette définition, que l’on peut faire constater aux élèves expérimentalement avec du papier calque, c’est qu’alors ces triangles ont tous leurs éléments (angles et côtés) égaux et prendre cela comme définition.

On a alors trois « cas d’égalité » CAC, ACA, CCC qui assurent que deux triangles sont isométriques si trois seulement de leurs invariants, convenablement choisis, sont égaux. Ces trois critères, à notre avis, doivent être mis sur le même plan et aucun n’est légitime pour être pris comme définition, tous trois sont des théorèmes, dont la conclusion est l’égalité de tous les angles et de tous les côtés. C’est ainsi qu’ils sont utilisés dans la pratique et c’est cela qui justifie leur intérêt.

Peut-être les collègues qui définissent l’isométrie avec les seuls côtés pensent-ils ainsi s’épargner un énoncé (le cas CCC devient trivial). Mais c’est une illusion. En effet, si l’on prend cette définition on a besoin d’un théorème supplémentaire qui assure que deux triangles isométriques ont les mêmes angles.

Enfin, un autre argument fort pour rejeter la définition avec seulement les côtés, est la généralisation aux polygones de plus de trois côtés. Dans le cas des quadrilatères par exemple, l’égalité des côtés ne suffit plus à assurer l’isométrie (penser à un carré et un losange avec des côtés de même longueur).

 

Sommets homologues : un exemple

Cet exercice est détaillé dans [B]. On l’évoque ici seulement pour préciser la notion de sommets homologues. L’énoncé est le suivant :

 
Un triangle $ABC$ est isocèle avec $AB = AC > BC$.

On prolonge les côtés, comme sur la figure ci-contre, en $D$ et $E$ avec $BE = CD = AB - BC$.

Montrer que $ADE$ est isocèle en $D$.

Il s’agit de montrer qu’on a $DA = DE$. Le principe d’utilisation des cas d’égalité est d’incorporer les éléments cherchés dans deux triangles qui, à l’œil, ont l’air d’être égaux. Ici, on voit bien les triangles en question, qui sont [4] $ACD$ et $BDE$ que l’on a coloriés en rouge et bleu.

Le point crucial est de repérer les éléments homologues ce qui se fait en regardant sur la figure. Il y a d’abord les angles obtus en $C$ et $B$, de sorte que ces points se correspondent. Il y a ensuite les segments « courts » issus de ces points, c’est-à-dire $[CD]$ et $[BE]$, de sorte que $D$ correspond à $E$ et il reste $A$ qui correspond à $D$.

L’ordre des sommets homologues des triangles est donc $CDA$ et $BED$ ce qu’on écrit, comme il a été dit, en mettant les triangles l’un sous l’autre :

$CDA$
$BED$

On peut alors montrer que les triangles sont égaux (c’est le cas CAC avec $CD = BE$, $CA = BD$ et $\widehat{DCA} = \widehat{EBD}$) et en déduire la conclusion cherchée.

On renvoie à [B] pour toutes précisions sur cet exercice et pour une discussion sur les mérites comparés de cette preuve et d’autres qui utilisent les transformations.

 

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