Rappelons l’avis de recherche paru dans les Chantiers n°185 du mois de juin :
Soit un triangle $ABC$ inscrit dans un cercle. La bissectrice de l’angle $\widehat{A}$ coupe le cercle en $A_1$, celle de l’angle $\widehat{B}$ en $B_1$ et celle de l’angle $\widehat{C}$ en $C_1$. On réitère sur le triangle ${A_1}{B_1}{C_1}$ et on obtient ainsi une suite de triangles $({A_n}{B_n}{C_n})_{n \in \mathbb{N}^*}$ ayant comme forme limite un triangle…équilatéral ? |
L’inspiration, à l’aide de GeoGebra
Pour trouver l’inspiration, demandons à GeoGebra : en construisant un nouvel outil ("transformation3points.ggt") qui permet de construire quasi-instantanément le triangle nouveau à partir du triangle ancien (Cliquer sur la figure ci-dessous pour atteindre ma page Geogebra) :
On pourrait même faire mieux, sur cette page Geogebra, en construisant le $n$-ième triangle pour tout $n$, mais je n’ai pas eu le temps de le faire… Peut-être au prochain numéro des Chantiers ?
Comme vous l’avez constaté avec les premières étapes, on peut obtenir assez facilement les premiers triangles et constater leur « convergence » vers « un » triangle équilatéral, plus exactement la sous-suite des triangles d’indices impairs et la sous-suite des triangles d’indices pairs semblent converger chacune vers un triangle équilatéral. Ce n’est donc pas un mais deux triangles équilatéraux que l’on obtient.
Bien, maintenant que nous avons l’idée de ce qu’il faudrait démontrer, passons aux mathématiques !
Traitement par l’algèbre… linéaire
En appelant $a$, $b$ et $c$ les mesures respectives des angles $\widehat{A}$, $\widehat{B}$ et $\widehat{C}$, les égalités des angles induites par la construction des bissectrices $(AA_1)$, $(BB_1)$ et $(CC_1)$ permettent de conclure que $a_1= \frac{1}{2}(b+c)$, et de même $b_1= \frac{1}{2}(a+c)$ et $c_1= \frac{1}{2}(b+a)$.
Linéairement parlant le vecteur $(a_1,b_1,c_1)$ est le produit matriciel du vecteur $(a, b, c)$ par la matrice $M_1$ ci-dessous :
$$ (a_1,b_1,c_1)=\dfrac{1}{2} \begin{pmatrix}0&1&1\\1&0&1\\1&1&0\end{pmatrix} (a,b,c) $$
L’itération du processus se fait en calculant la matrice $M_n$ puissance $n$-ième de $M_1$.
La méthode habituelle consiste à diagonaliser la matrice, ce qui rend le calcul de sa puissance $n$-ième enfantine. Oui mais voilà, Georges Camguilhem qui avait soumis cet exercice à notre sagacité, avait mis en objet : « un exercice de récurrence » et bêtement, je l’avoue, j’ai cherché à résoudre cet avis de recherche par récurrence… et cela est beaucoup moins simple.
D’abord pour démontrer un résultat par récurrence encore faut-il connaître le résultat : c’est à dire l’expression de $M_n$ en fonction de $n$. Hum… Pour connaître un résultat que l’on ne connaît pas on peut essayer de le subodorer par un examen attentif des premières puissances en espérant en déduire une hypothèse.
Allons-y à la main… ou à la machine (Python à la rescousse !).
$$ M_2=\dfrac{1}{2^2} \begin{pmatrix}2&1&1\\1&2&1\\1&1&2\end{pmatrix} = \begin{pmatrix}\frac{2}{4}&\frac{1}{4}&\frac{1}{4}\\\frac{1}{4}&\frac{2}{4}&\frac{1}{4}\\\frac{1}{4}&\frac{1}{4}&\frac{2}{4}\end{pmatrix} $$
$$ M_3 = \dfrac{1}{2^3} \begin{pmatrix}2&3&3\\3&2&3\\3&3&2\end{pmatrix} = \begin{pmatrix}\frac{2}{8}&\frac{3}{8}&\frac{3}{8}\\\frac{3}{8}&\frac{2}{8}&\frac{3}{8}\\\frac{3}{8}&\frac{3}{8}&\frac{2}{8}\end{pmatrix} $$
$$ M_4 = \dfrac{1}{2^4} \begin{pmatrix}6&5&5\\5&6&5\\5&5&6\end{pmatrix} = \begin{pmatrix}\frac{6}{16}&\frac{5}{16}&\frac{5}{16}\\\frac{5}{16}&\frac{6}{16}&\frac{5}{16}\\\frac{5}{16}&\frac{5}{16}&\frac{6}{16}\end{pmatrix} $$
$$ M_5 = \dfrac{1}{2^5} \begin{pmatrix}10&11&11\\11&10&11\\11&11&10\end{pmatrix} = \begin{pmatrix}\frac{10}{32}&\frac{11}{32}&\frac{11}{32}\\\frac{11}{32}&\frac{10}{32}&\frac{11}{32}\\\frac{11}{32}&\frac{11}{32}&\frac{10}{32}\end{pmatrix} $$
Encore une petite dernière ? Pour le plaisir du calcul :
$$ M_6 = \dfrac{1}{2^6} \begin{pmatrix}22&21&21\\21&22&21\\21&21&22\end{pmatrix} = \begin{pmatrix}\frac{22}{64}&\frac{21}{64}&\frac{21}{64}\\\frac{21}{64}&\frac{22}{64}&\frac{21}{64}\\\frac{21}{64}&\frac{21}{64}&\frac{22}{64}\end{pmatrix} $$
Avant de continuer, on peut constater que dans toutes ces matrices les lignes ou les colonnes ont pour somme $2^n$ (ou 1, si on tient compte du coefficient $\dfrac{1}{2^n}$). Une récurrence permettra d’établir cette propriété mais à quoi correspond-t-elle pour la suite des triangles ?
Continuons : comme prévu on constate que les matrices de rang impair ont tous les termes de la diagonale principale égaux (appelons-les $x$) ainsi que les autres (appelons les $y$) avec $y=x - 1$ alors que dans les matrices de rang pair $ y=x+ 1$.
Raisonnons sur les matrices de rang impair (ce sera la même chose pour celles de rang pair).
Nous avons donc le système $ \left\{ \begin{array}{rcr} x+2y & = & 2^n \\ x-y & = & 1 \end{array} \right. $
d’où nous tirons $ x=\dfrac{2^n+2}{3}$ et $ y=\dfrac{2^n-1}{3}$
Nous allons maintenant pouvoir démontrer sérieusement la relation de récurrence pour savoir si notre hypothèse est bonne.
Pour rester dans les matrices de rang impair nous allons multiplier la matrice $M_n$ par $M_2$ pour trouver $M_{n+2}$ (Calculs garantis Python ...)
$$ \dfrac{1}{2^n} \begin{pmatrix}\frac{2^n-2}{3}&\frac{2^n+1}{3}&\frac{2^n+1}{3}\\\frac{2^n+1}{3}&\frac{2^n-2}{3}&\frac{2^n+1}{3}\\\frac{2^n+1}{3}&\frac{2^n+1}{3}&\frac{2^n-2}{3}\end{pmatrix} \begin{pmatrix}\frac{2}{4}&\frac{1}{4}&\frac{1}{4}\\\frac{1}{4}&\frac{2}{4}&\frac{1}{4}\\\frac{1}{4}&\frac{1}{4}&\frac{2}{4}\end{pmatrix} = \dfrac{1}{2^{n+2}} \begin{pmatrix}\frac{2^{n+2}-2}{3}&\frac{2^{n+2}+1}{3}&\frac{2^{n+2}+1}{3}\\\frac{2^{n+2}+1}{3}&\frac{2^{n+2}-2}{3}&\frac{2^{n+2}+1}{3}\\\frac{2^{n+2}+1}{3}&\frac{2^{n+2}+1}{3}&\frac{2^{n+2}-2}{3}\end{pmatrix} $$
…ce qui est bien le résultat cherché et, bien entendu, il en est de même pour les matrices de rang pair.
Donc (assurez-vous bien que la récurrence est correcte…) dans $M_n$ les termes $\dfrac{2^n-2}{3\times2^n}$ et $\dfrac{2^n+1}{3\times2^n}$ tendent évidemment vers $\dfrac{1}{3}$ lorsque $n$ tend vers l’infini.
Et par suite pour chacune des deux sous-suites, le triangle « final » aura pour mesure de chacun de ses angles $\dfrac{a+b+c}{3} = 60°$ puisque la somme des 3 angles d’un triangle vaut 180°… en géométrie euclidienne bien sûr !
Et avec les bissectrices extérieures ?
Question pertinente de Michel — qui oublie toutefois de s’interroger sur les médianes, les hauteurs, les symédianes et tutti quanti…
Les deux bissectrices extérieure et intérieure étant perpendiculaires, $C_1$ et $C’_1$ sont diamétralement opposés donc symétriques par rapport au centre du cercle. Toutes les propriétés pour les points $C_n$ sont donc valables pour les points $C’_n$ par symétrie.
Il y a toutefois une différence notable : c’est qu’il n’y a plus besoin de distinguer les indices pairs et impairs car les triangles conservent la même orientation. Bien entendu il faudrait revenir sur les matrices pour le démontrer…
Et maintenant ?
Ce qui précède a été élaboré après avoir reçu la question posée par Georges Camguilhem dans le n° 186 de juin 2020. Mais après une relance auprès de celui-ci pour savoir s’il avait une solution, nous avons reçu par la Poste — porté par un vrai facteur — une épaisse enveloppe contenant, comme le dit son auteur, tout le travail fait pendant le confinement.
Plus de 25 pages écrites à la main et présentant un florilège de toutes les questions que Georges s’était posées à propos de cet exercice.
Citons au hasard : diverses démonstrations, plusieurs généralisations au quadrilatère, au pentagone et même au tétraèdre, l’apparition du point de Fermat, les applications aux probabilités, aux barycentres… et j’ai envie d’ajouter un raton laveur.
Un vrai trésor… qu’il faudra déchiffrer et surtout numériser, ce qui demandera un certain temps.
Mais nous ne manquerons pas de vous en faire profiter, au moins en partie, dans le numéro de décembre.
Et un nouvel Avis de Recherche
Sur les développements décimaux de quelques inverses… $\dfrac{1}{9^2}=\dfrac{1}{81}=0,\overline{0\:1\:2\:3\:4\:5\:6\:7\:9}$ $\dfrac{1}{99^2}=\dfrac{1}{9 \, 801}=0,\overline{00\:01\:02 …\:97\:99}$ $\dfrac{1}{999^2}= \cdots$ Et ensuite ? |
Celui qui, déjà, pourra fournir « un programme python » permettant d’écrire le développement de l’inverse de $ {\underbrace{(9 \, \cdots \cdots \cdots \, 9)}_{n \, chiffres \, 9}}^{\, 2}$, débité par tranches de $n$ chiffres, aura rendu un grand service à la cause de cette recherche.
Celui qui sera capable de donner l’expression de la période en fonction de $ n$ (avec la démonstration bien sûr) sera déclaré vainqueur… surtout s’il trouve des généralisations.
Bonne recherche.
Nous attendons toujours, avec plaisir, vos recherches, même non abouties : écrivez-nous à l’adresse des problèmes des Chantiers. Vous pouvez aussi nous proposer des problèmes : nous les soumettrons à la sagacité de nos lectrices et lecteurs. |
La Régionale Île-de-France APMEP, 26 rue Duméril, 75013 PARIS