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Les murs pédagogiques
Article mis en ligne le 15 janvier 2021
dernière modification le 20 février 2024

par Luca Agostino
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L’un des thèmes au centre des réflexions de la Journée de la Régionale Île-de-France 2020 a été la place de l’Oral dans l’enseignement des Mathématiques. Quelle meilleure occasion de monter un petit atelier virtuel de débats et d’échanges autour des pratiques dans nos classes ?

 

Des avis divers

La nécessité d’une réflexion collective sur ce thème s’est faite sentir dès le départ avec un tour de « salle » où chacun devait compléter la phrase « Enseigner l’Oral en Mathématiques c’est… ». Un véritable moment de vérité où nous avons constaté entre collègues l’extrême diversité des positions sur ce sujet : il y a celui ou celle qui en valorise sa place légitime dans le parcours de l’élève, qui en souligne la difficulté de son enseignement de part le besoin de temps, qui s’interroge sur la façon de l’évaluer pour que les actions pédagogiques entreprises à l’oral aient des retombées positives sur la formation de l’élève.

Voici un nuage de mots créé à partir des réponses des collègues présents.

 

L’oral est déjà présent dans nos classes

À partir de ce constat, il est intéressant de remarquer que l’oral fait déjà partie intégrante de nos cours de Mathématiques sous différentes formes qu’on pourrait classifier en trois catégories :

  • Oral préparé où la prise de parole est conçue par les élèves avec un temps de préparation au préalable sur un sujet donné en amont.
     
  • Oral non préparé vu comme la capacité de verbalisation mathématique par les élèves lors d’un cours ou d’une activité sans qu’il y ait de temps de préparation en amont.
     
  • Travail oral personnel de l’élève qui correspond souvent à des moments de travail à la maison visant la réalisation d’une tâche mathématique avec un rendu complètement oral ou qui en contienne une partie conséquente.

Voici une infographie :

 

Le dispositif des Murs Pédagogiques

Il est clair que l’entraînement à l’oral non préparé constitue, d’une part, l’enjeu le plus complexe (de part la difficulté d’accompagner tous les élèves dans leur parcours d’apprentissage) et, d’autre part, la part la plus riche car elle permet un développement à la fois langagier des mathématiques et logico-déductif avec une centralité du raisonnement explicité à l’oral et son éventuelle remise à l’écrit successive.

Depuis plusieurs années je pratique l’action pédagogique que j’appelle « Les Murs Pédagogiques ».

L’idée des murs pédagogiques naquit suite à l’achat et l’installation de plusieurs tableaux de type « velleda » collés aux murs d’une salle de cours : imaginer les élèves debout en train de travailler sur un support qui, d’habitude, est propre à l’enseignant, laissa courir l’imagination de plusieurs collègues et, assez rapidement, cette salle devint l’objet de nombreuses convoitises au sein des équipes pédagogiques.

La fascination pour l’aspect « symbolique » et un peu « sacré » que le tableau déclenche dans l’imaginaire des élèves pouvait devenir la porte d’entrée vers la mise en place d’un changement de posture : les apprenants qui deviennent savants et responsables de la transmission de ce savoir. Encore fallait-il identifier quel serait ce savoir et comment le transférer… et encore en amont les objectifs pédagogiques : motivation, autonomie, différenciation pédagogique, remédiation, climat de classe ?

L’outil apparaissait potentiellement très riche, diversifié et facilement adaptable à plusieurs nécessités. Cette variété était presque gênante : la quantité d’options jouait un rôle de distraction et ne me permettait pas de bien visualiser la direction que je voulais entreprendre. Le seul aspect clair dans cette démarche était le fait que, quelque soit l’objectif, les élèves, tout comme des enseignants, auraient dû s’exprimer à l’oral entre pairs : un constat qui fût comme un « effet d’épiphanie » pour le professeur de Mathématiques que j’étais et qui tentais depuis plusieurs années d’insérer la pratique de l’oral dans ses heures de cours.

 

L’enjeu de l’oral

Les tableaux sont installés tout au long des murs « libres » et permettent de réaliser des « mini-classes » en organisant les tables des élèves en fer à cheval autour de chaque tableau. Bien évidemment, le tableau « de l’enseignant » peut jouer le rôle d’un ou deux tableaux supplémentaires, ce qui permet d’animer le dispositif pour une classe entière : cinq groupes de cinq ou six élèves chacun.

La composition des groupes de travail peut se faire suivant les préconisations classiques du travail de groupe, en les organisant de façon homogène ou hétérogène, notamment en fonction d’une différenciation pédagogique des énoncés ou non. Je tiens à souligner que la mise en place « matérielle » rappelle de très près la conception de la « classe mutuelle » définie par Vincent Faillet dans son ouvrage « La métamorphose de l’école quand les élèves font la classe ».

En revanche, si la situation de salle de cours assume le contour « liquide » évoqué par Faillet (grâce notamment à l’utilisation des tableaux collés aux murs, une disposition de plusieurs groupes de tables en fer à cheval et le déplacement des élèves), celle-ci est, dans cette démarche, au service d’un protocole pédagogique strict . En effet, une séance de murs pédagogiques vise une cible bien spécifique : le développement des compétences « Oral préparé et non préparé » en Mathématiques dans une démarche d’amélioration de la compréhension des notions au programme et de prise de conscience de leur construction formelle.

D’où la nécessité de mise en place d’un scénario pédagogique aux contours bien définis permettant de canaliser la production orale des élèves dans la direction souhaitée par l’enseignant et de s’assurer, ainsi, que les élèves soient confrontés aux situations didactiques qui permettent explicitement un travail de la compétence orale.

 

Scénario et déroulement

En début de séance, les élèves sont répartis en groupes de quatre ou cinq. Ainsi, chaque groupe constitue une « mini-classe » et s’installe devant l’un des tableaux.

Chaque groupe a un temps imparti pour résoudre un exercice ou un problème en notant au tableau toute trace de recherche ou de résolution que les élèves jugent pertinente ou utile à leur propre compréhension. Concernant les sujets travaillés : l’énoncé donné pour chaque groupe est différent de celui du groupe suivant, ce qui permet, à minima, de réaliser deux énoncés différents.

À la fin du temps imparti les groupes tournent, et les élèves s’installent face au tableau suivant. Cependant, un élève par groupe reste à sa place et aura la mission d’accueillir ses camarades et de leur expliquer à l’oral le problème que son propre groupe a résolu auparavant. Les élèves qui écoutent prennent note de la résolution et posent des questions, voire corrigent la solution proposée s’ils pensent qu’elle présente des erreurs.

Une variante qui engage moins l’aspect de l’oralité, mais davantage celui du travail collaboratif est la suivante :

même fonctionnement que le déroulé ci-dessus, mais à la fin du premier temps imparti, tout le groupe se déplace et corrige, avec une couleur différente de celle utilisée avant, le travail des camarades qui apparaît au mur.

Le déroulé de cette activité rappelle le dispositif « World Café » initié en formation d’entreprise dans les années 90. Si l’aspect dynamique qui se manifeste avec les déplacements des élèves lui correspond exactement, l’idée de réaliser une tâche précise et de la transmettre en tant qu’expert au groupe suivant amène la réflexion pédagogique sur un plan différent de celui plus égalitaire et libre de l’équipe d’entreprise.

Ici, « l’hôte » du groupe n’est pas maître de la question : il est élu expert suite au travail qui a été conçu par l’enseignant, qu’il a réalisé avec les autres et donc, à fortiori, qu’il vient d’apprendre. C’est l’enseignant le véritable chef d’orchestre, celui qui décide les objectifs pédagogiques et les tâches pour les atteindre. En revanche, l’élève garde un profil d’acteur, mais l’aspect créatif du « World Café » reste limité par la précision de la tâche qui, on le rappelle, répond à un besoin de travail spécifique : l’oral en Mathématiques.

 

Le besoin d’une analyse didactique

L’atelier de notre journée s’est prolongé dans une analyse a priori et a posteriori avec l’observation de quelques photos de tableaux d’élèves. Plusieurs questions ont été soulevées par les collègues présents.

  • Quels retours en classe après ? Y a-t il une place pour l’institutionnalisation ?
     
  • Comment évaluer le dispositif ? Autrement dit : comment s’assurer que ce type de travail apporte une réelle amélioration des compétences orales en Mathématiques ? Et comment être certain que ces compétences orales aient un réel impact positif dans l’apprentissage des Mathématiques ?
     
  • Quels énoncés ? Comment choisir des tâches qui favorisent les échanges ?
     
  • Quelle place pour l’évaluation ? S’agit-il d’une évaluation par compétences ?

Ces retours interrogatifs expriment fortement le besoin de légitimer des actions pédagogiques qu’on définit souvent comme « innovantes ». Travaillant depuis plusieurs années sur cette animation de classe j’ai trouvé quelques réponses à ces questions, mais certaines restent encore trop ambitieuses.

Certes, la crise du Covid a forcément ralenti les expérimentations de ce type et contraint les enseignants à s’astreindre à des configurations de classes à « échiquier », mais l’enjeu de savoir évaluer les retombées positives sur l’apprentissage n’a jamais cessé de me travailler et m’a donné des idées que j’ai hâte de tester une fois qu’on pourra réduire les distances.

Une de ces idées consisterait à donner des « missions secrètes » à certains élèves du groupe qui seraient alors écouteurs en plus qu’acteurs et qui devraient par exemple donner le nombre de fois où un certain mot ou expression mathématique a été utilisé par le groupe (coefficient directeur ? nombre dérivé ? …), mais il ne s’agit que d’une idée pas encore mûre.

Le lecteur trouvera une analyse didactique plus détaillée et des réponses aux questions pédagogiques précédentes dans le numéro 538 de la revue « Au fil des Maths » de l’APMEP, revue que nos collègues connaissent bien puisqu’elle est incluse dans l’adhésion à notre Association.

 

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Les chantiers de pédagogie mathématique n°187 janvier 2021
La Régionale Île-de-France APMEP, 26 rue Duméril, 75013 PARIS


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