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L’oral en mathématiques chez nos voisins
Retour à Madrid : faire des maths en Espagne
Épisode 1
Article mis en ligne le 24 janvier 2022
dernière modification le 11 août 2023

par Luca Agostino

Du côté de nos voisins européens

Pas mal de temps s’est passé depuis la publication des articles sur l’enseignement de l’oral dans certains pays européens — souvenez-vous, le dernier était en Italie— et une pandémie s’est invitée dans nos vie en bouleversant beaucoup de nos projets et notamment les projets de voyages.

Cela n’a pas empêché de cultiver les contacts à distance et de belles rencontres virtuelles se sont réalisées, des projets entre pays ont été imaginés, écrits et proposés (notamment via l’accréditation Erasmus+).

Depuis septembre des actions de mobilité et de découverte de systèmes scolaires européens ont repris. Cet article est le premier du récit d’un voyage en Espagne [1] réalisé durant les vacances de la Toussaint par deux professeurs, l’un de mathématiques et l’autre de Physique-Chimie, exerçants au Lycée International de Saint Germain en Laye.

Je détaillerai tout particulièrement les observations, les actions et les échanges au sujet des mathématiques et de leur enseignement en Espagne en essayant de mettre en évidence les différences avec nos pratiques pédagogiques [2] et, de façon plus générale, notre idée d’École.

 

Première étape : Madrid

Nous avons rendez-vous à l’institut Arquiteto Ventura Rodriguez, un lycée dans la banlieue de Madrid, à 8h30. Un graffiti réalisé par les élèves au sujet du nombre d’or nous attend sur le petit rebord du mur d’entrée.

Nos activités prévoient des visites de cours et deux animations de séances (la consigne était de les animer dans « l’esprit français »). Le lycée est une grande structure plutôt neuve, nous sommes accueilli par la proviseure, professeure de lettres (en Espagne les chefs d’établissement gardent un quota de cours et sont élus par les enseignants de leur établissement) qui nous fait visiter les lieux et nous présente l’établissement (un public assez favorisé). Après nous avoir offert un café « con churros » à la cafétéria du lycée (les cours se terminent entre 14h et 15h, les élèves déjeunent à la maison, mais peuvent acheter des sandwichs ou autre à grignoter lors des deux recréations) elle nous présente les collègues avec qui nous allons travailler : Raquel [3], Yolanda et Sofìa, professeures de mathématiques et de technologie.

 

Un exemple d’oral en mathématiques

Une de nos observations de cours se déroule dans une classe de 3e de 28 élèves, le cours est réalisé en modalité hybride, la moitié de la classe est à la maison — les élèves, connectés via la plateforme « googleclassroom », écoutent et observent la séance : ils ont la possibilité d’intervenir quand ils le souhaitent. Les élèves présents sont assis à des tables individuelles espacées les unes des autres. Cette modalité m’est apparue établie et naturelle, aucune question d’ordre technique ne s’est posée, les enseignants ne m’en avaient d’ailleurs pas parlé avant la séance, ce qui me laisse penser qu’ils en ont pleinement l’habitude.

Le cours porte sur la géométrie dans l’espace et le calcul d’aires et volumes.

La professeure commence la séance en faisant corriger un exercice réalisé en devoir à la maison pour le jour même. Elle demande à un élève de se rendre au tableau pour présenter son travail. L’élève se déplace, il note toute la résolution écrite au tableau. Pendant ce temps (forcément assez long), la professeure répond aux questions des autres élèves en s’appuyant sur des exemples improvisés pour répondre aux questions. Une fois la résolution notée, l’élève prend la parole et expose son raisonnement.

L’exercice demande de calculer le volume et l’aire latérale d’un solide constitué d’un cylindre droit dont on connaît les mesures du rayon et de la hauteur, surmonté d’un cône dont la base coïncide avec la base supérieure du cylindre ; on connaît aussi la mesure de la hauteur de ce cône.

Cet exercice apparaît assez calculatoire, plutôt classique, avec deux difficultés prévisibles pour les élèves : la non prise en compte de la base du cône (et de celle du cylindre) pour le calcul de l’aire latérale et l’utilisation du théorème de Pythagore pour le calcul de la mesure de l’apothème du cône.

La vidéo ci-dessous montre l’exposé de l’élève et un moment de questions-réponses qui a suivi avec ses camarades.

 

Analyse de cette séance

La première partie montre un élève très à l’aise à l’oral, il expose son raisonnement en mettant en évidence les étapes des calculs et en donnant presque exclusivement les résultats des opérations. Il ne lit ni ce qui est écrit au tableau, ni ses notes (il n’en a pas), le discours est personnel et fluide.

La professeure se met en retrait en laissant l’élève s’exprimer et cela malgré le fait que le vocabulaire employé ne soit pas toujours correct — « face » à la place de « surface latérale », oublis d’unités de mesure, etc. Il s’en suit une prise de parole en continu d’une durée d’environ 4 minutes où l’élève s’adresse à la classe suivant un discours personnel.

Les élèves qui écoutent se montrent relativement attentif ; en tout cas, ils ne dérangent pas l’exposé de leur camarade.

Il est intéressant de remarquer le relationnel instauré entre élèves et professeure : ils sont très proches, l’élève n’hésite pas à faire une blague sur le fait que sa « chère » professeure a effacé un calcul et la professeure s’adresse de façon très décontractée quand elle intervient pour corriger le mot « face » ; on ne l’entend pas ici, mais les élèves tutoient les enseignants en Espagne et ils les appellent par leur prénom.

Dans la deuxième partie (vous n’y trouverez pas les sous-titres car les échanges sont trop rapides) on assiste à un oral entre pairs : les élèves posent des questions, l’élève répond, les camarades rebondissent (même ceux qui sont à la maison !) sans que la professeure n’ait à distribuer la parole. Ils mettent en place une sorte d’autorégulation qui parait déjà installée et naturelle.

Un point intéressant est la réaction de la classe à la remarque de la fille, en fin de cette vidéo, qui met en évidence le fait que le résultat annoncé dans le manuel était différent (il s’agit d’un problème d’arrondi). La classe réagit unanimement en minimisant la problème : « au fond ce n’est qu’un arrondi ! ». Cela peut paraître un détail, mais c’est significatif de l’autonomie des élèves, de leur esprit critique, mais aussi de leur rapport à la rigueur qui est sûrement moins exigée qu’en France.

À la différence de l’Italie (où l’oral en mathématiques fait partie de l’évaluation de l’élève depuis le plus jeune âge comme nous l’avions mentionné dans notre précédent article), en Espagne l’oral n’a pas une place spécifique dans les modalités d’apprentissage. S’il est impossible de généraliser l’observation réalisée, néanmoins l’atmosphère dans la classe observée apparaît très propice à la prise de parole. Cela semble aller vers le constat que le travail de l’oral en classe est, non seulement, intimement lié à la culture du pays, mais aussi à la forme scolaire (dans sa signification plus large comprenant le climat de classe et le relationnel prof/élèves) : libérer la parole ne pourrait passer exclusivement par un raisonnement didactique, mais nécessiterait aussi une réflexion structurelle sur l’école qui dépasse le cadre de cet article.

 

Des séances « à la française »

Je ne cache pas le sentiment de stress que j’ai ressenti quand les collègues espagnols m’avaient demandé de préparer et d’animer deux heures de cours « à la française » dans une classe de première puis de terminale. La commande comprenait aussi les thèmes des deux cours : trigonométrie et intégration par parties.

Si, nous enseignants, nous nous posons quotidiennement la question de comment animer au mieux une séance pour nos élèves, comment le faire « à la française » rajoutait pas mal de doutes. D’autant plus que je n’avais jamais enseigné à des élèves espagnols et je ne me rendais pas compte du tout de leurs connaissance et de leur niveau. Il faut mentionner au passage que ma maîtrise de la langue espagnole est très médiocre, mais ce défi jouait plutôt en positif sur ma motivation (heureusement que j’ai beaucoup d’amis hispanophones !).

Bref, j’ai décidé de monter des activités qui mettent en valeur l’approche de découverte « à la Brousseau » : au fond qu’est ce qu’il y a de didactiquement plus français ?

Je rapporte ici l’analyse de la séance animée en première sur le chapitre trigonométrie car elle a été beaucoup plus riche d’observations en ce qui concerne ma réflexion sur les différences France/Espagne dans l’enseignement des mathématiques.

 

La mise en activité des élèves

Le plan de la séance était relativement simple :

  • des questions flash pour réactiver les connaissances de trigonométrie que
    les élèves étaient censés connaître les relations métriques dans un triangle rectangle ainsi que les valeurs remarquables des sinus et cosinus.
  • une activité autour d’un problème de modélisation
    consistant à conjecturer puis à déterminer la mesure d’un angle qui minimise la longueur total d’une tuyauterie : exercice classique que l’on retrouve dans plusieurs manuels et ressources.

Mon objectif d’observation était de constater si les élèves espagnols ont l’habitude d’être en situation de travail actif lors d’une activité de découverte.

Concernant les questions flash :

  • découverte du dispositif
  • anticipation des difficultés qui seront rencontrées lors de l’activité

Concernant l’activité, elle prévoyait :

  • l’utilisation de « geogebra classroom » pour conjecturer
  • le suivi d’un chemin déductif (guidé par un enchaînement de questions) afin de valider (ou non) la conjecture émise
  • un bilan et une conclusion relative au problème posé

Dès l’affichage des questions flash les élèves ont spontanément sorti leur manuel et y ont cherché les informations nécessaires pour répondre. La démarche m’a parue louable, mais j’ai eu l’impression, lors de cette séance, que leur recherche visait l’obtention d’une procédure, une méthode, une règle pour répondre automatiquement sans trop réfléchir : le cercle trigonométrique était disponible sur la diapo et l’équation pouvait se résoudre par un raisonnement relativement simple — les observations successives confirmeront cette hypothèse.

Tous les élèves se sont mis en activité directement : j’ai découvert à ce moment, par un échange avec la professeure, que le chapitre datait de l’année dernière … les connaissances étaient justement assez lointaines, ce qui explique les difficultés des élèves pour commencer le travail (et au passage ce chapitre ne semble pas plaire plus aux élèves espagnols qu’à nos élèves français).

La correction au tableau des questions flash s’est passée très simplement et a permis de réviser les notions nécessaires à l’activité.

Concernant la prise en main de l’activité, j’ai fait le choix de les laisser en complète autonomie, en leur donnant le sujet et en indiquant un temps de recherche autonome.

Les élèves ont été très déstabilisés et désemparés : certes, l’utilisation technique de geogebra a été assez naturelle, mais beaucoup d’élèves ont demandé « Que faut-il faire ? ».

L’idée de suivre des étapes, de réaliser un travail autonome, émettre une conjecture et l’utiliser pour diriger sa pensée lors de l’exercice m’est semblé un schéma inconnu et étranger (et cela, au-delà du sujet plus ou moins difficile). À de nombreuses reprises, quand je m’approchais des élèves pour les aider et arriver à donner une réponse, j’ai eu la réaction : « Ah ! Mais c’était juste ça ! ».

Loin de considérer mon activité parfaite et bien conçue (surtout en espagnol !), j’ai été quand même interpellé par cette résistance à l’activité de recherche mathématique, résistance que nous combattons quotidiennement dans nos classes et qui demande un temps de travail très long et étalé sur plusieurs années.

Les collègues espagnoles m’ont confirmé que ce type d’activité mathématique n’est pas fréquent, voire absent, dans leurs pratiques entre autres du fait que les textes des examens d’état (Bacchillerato) sont conçus davantage comme des applications directes de méthodes.

Voici l’article que nos deux collègues ont rédigé suite à cette matinée de cours « à la française » et qui confirme nos observations : Trabajo cooperativo en matemáticas


Ceci termine le premier épisode de la comparaison de l’enseignement des mathématiques en France et Espagne. Dans le prochain numéro des Chantiers nous nous rendrons à Seville et à Salamanque et nous aborderons des questions autour du cours magistral, des techniques calculatoires, de l’évaluation et de l’inclusion scolaire.

 

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Les chantiers de pédagogie mathématique n°191 janvier 2022
La Régionale Île-de-France APMEP, 26 rue Duméril, 75013 PARIS