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La passion d’enseigner… et de partager !
Article mis en ligne le 4 avril 2022
dernière modification le 11 août 2023

par Philippe Colliard
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L’enseignement…

Une passion, ça ne se raisonne pas, on n’a pas le choix, on la vit ou on est malheureux. Évidemment, j’ai préféré la vivre.

Ça m’a valu quelques moments difficiles, au début, et puis petit à petit mes élèves, leurs familles, mes collègues, tous ont accepté ma passion — une quasi-obsession, faire aimer les maths — et avec elle ma façon d’enseigner.

Avec un idéal affiché : obtenir de tous mes élèves au moins le niveau que ma hiérarchie « attendait » pour eux à la fin de l’année scolaire.

De tous.

Bon… c’était un idéal :)

Enseigner comme je le voulais supposait que je m’approprie d’abord chaque sujet et j’ai passé des heures à lire des manuels scolaires (euh, ça c’était avant Internet !), à en absorber ce qui me paraissait utile, à en rejeter le reste. Puis à lire des documents un peu plus approfondis, puis des articles de recherche…

Pourquoi, alors que je n’enseignais qu’en lycée — puis en collège ?

Je n’en sais trop rien, la passion ne se raisonne toujours pas. S’il faut vraiment que je cherche une raison, c’est peut-être que je voulais être sûr de les orienter dans une bonne direction, que ce que je leur enseignerais ne se révélerait pas plus tard mathématiquement médiocre. J’ai essayé de m’en expliquer dans un article d’images des mathématiques : le goût des maths.

Très rapidement, il m’a fallu écrire mes cours. Ou plus précisément des synthèses de mes cours. Pas pour réinventer la roue, ni pour être original, juste parce que je ne trouvais pas ce que je voulais dans les documents déjà écrits. Et parce que je ne voulais pas prendre du temps d’enseignement à dicter un cours, il me semblait que nous avions mieux à faire en classe.

Dans une séquence de classe, 15 à 20 minutes étaient réservées à des retours sur le cours précédent : correction d’un exercice d’application directe, questions orales. Le reste du temps — environ une demi-heure — était habituellement un dialogue entre mes élèves et moi, durant lequel je tentais de les faire progresser sur le thème du moment : une demi-heure durant laquelle ils n’avaient devant eux « qu’un bloc, un stylo… et rien d’autre ! », un comportement qui leur était devenu naturel.

Pour le plaisir — et un peu tout de même par nostalgie — j’ai tenté de recomposer, dans ce petit article de mon blog, ce à quoi avait ressemblé mon cours d’introduction à la géométrie, dans mon avant-dernière classe de quatrième (nostalgie toujours, une nostalgie attendrie, parfois je clique encore sur cet autre article de mon blog, et je « feuillette » une fois de plus le livret-cadeau de ma dernière quatrième).

J’ai évidemment composé mes interrogations et leurs corrections, ce qui m’a tout naturellement conduit à réfléchir à la finalité de ces interrogations, et à mettre en place un système que j’ai conservé 30 ans. Appuyé sur 2 types différents d’interrogations (les « rams » — oui, pour « Random Access Memory » — et les « interrogations à 12 cadres »), mais également sur un agencement précis des cahiers de cours et de « rams et interros » ET sur l’effort demandé à mes élèves de « réviser leurs rams » 3 à 4 fois par semaine, il a globalement permis à mes élèves une mise à jour constante de leurs connaissances d’une façon presque indolore. Et de prendre confiance en eux.

Pour celles et ceux que ces réminiscences intéresseraient, j’ai réuni sous ce lien quelques textes d’informations et d’explications à l’usage des parents. Et des exemples de rams et interrogations.

 

… et le partage

Géométrie

J’observe le quadrilatère « Quadri » (très particulier, mais je ne le sais pas encore).

Je découvre que 2 côtés opposés de Quadri sont parallèles, donc, d’après une définition d’un trapèze, Quadri est un trapèze…
 
je découvre maintenant que les 2 autres côtés de ce trapèze sont également parallèles, donc, d’après une définition d’un parallélogramme, Quadri est un parallélogramme…
 
je découvre encore que 2 côtés adjacents de ce parallélogramme ont la même longueur, donc, d’après une définition d’un losange, Quadri est un losange…
 
je découvre enfin que 2 côtés adjacents de ce losange (peut-être pas les mêmes que précédemment) sont perpendiculaires, donc, d’après une définition d’un carré, Quadri est un carré !

Comment ai-je découvert que 2 côtés opposés de Quadri étaient parallèles ? Peut-être ai-je pu observer qu’ils étaient tous les deux perpendiculaires à une même droite… donc, d’après le théorème *** , ces deux côtés sont parallèles. On n’y échappe pas !

Au cœur de tout raisonnement apparaissent (ou se cachent) des enchaînements de définitions, de théorèmes… et de « donc, d’après » !

Quelles sont les définitions, quels sont les théorèmes sur lesquels s’appuient tous nos raisonnements ?

Pouvons-nous en faire l’impasse devant nos élèves, ou devons-nous les leur enseigner ?

  • La réponse à la 2e question me paraît à peu près acquise : ce sont des mathématiques que nous enseignons, et les mathématiques reposent sur le raisonnement, donc, d’après ces affirmations, nous devons encourager le raisonnement chez nos élèves. Bien entendu sans outrance, en nous contentant pour chaque chaînon d’un raisonnement de nous appuyer sur la définition ou le théorème dont il découle directement : il serait absurde de chercher au collège à remonter aux origines de notre géométrie.
  • La réponse à la 1re question est moins évidente parce que nous n’avons pas tous les mêmes définitions (un angle est-il une ligne ou une surface ?)… et même parfois parce que nous n’en avons aucune : qu’est-ce qu’une figure ? Nous, nous le savons. Mais nos élèves ? Au mieux, nous leur disons rapidement qu’une figure est un ensemble de points et de segments de droites d’un plan (voire éventuellement de surfaces de ce plan) ce qui est une façon élégante d’escamoter la question.

Qu’est-ce qu’un point, qu’est-ce qu’une droite, qu’est-ce qu’un plan ?

Un point n’est pas une petite tache, une droite n’est pas un trait à la règle (d’ailleurs une ligne n’est pas un trait), un plan n’est pas une feuille de papier.Évidemment, expliquer ça à des élèves de collège n’est pas aussi simple que ça peut le paraître, et ça prend du temps.

Mais ça en vaut la peine : ça leur ouvre des fenêtres, ça les fait rêver — un peu comme lorsque la nuit on lève la tête vers les étoiles et qu’on essaie de s’approprier l’univers.

Ça les fait rêver de découvrir que la géométrie se passe dans la tête, qu’elle fait constamment appel à l’imagination, qu’elle nous plonge dans un univers illimité, merveilleusement irréel, parfois magique.

De découvrir que la géométrie, on peut l’étudier pour elle-même, voire, bizarrement, se passionner pour elle.

De découvrir qu’à partir de bases (relativement) rigoureuses, ils peuvent construire « leur » géométrie, lui donner du sens, se l’approprier.

Et pour certain(e)s… de découvrir le raisonnement.

Et par la suite, le temps ça en fait gagner énormément !

Après de très nombreuses années de révolte, de réflexion, j’ai fini par écrire un premier livre, je l’ai appelé — cela ne vous étonnera pas — « … donc, d’après… », j’y ai tenté une construction de la géométrie à la portée du collège. Pas à l’usage des élèves, ce n’est ni un manuel ni un cours, mais à leur portée. Un livre dont toute la première partie (plus de 80 pages sur 300) introduit les éléments primitifs de notre géométrie — endroit, objet (au sens physique, puis mathématique), point, ligne, surface, droite et plan — puis définit les autres : lignes, surfaces et solides particuliers.

Il existe bien évidemment d’autres introductions, d’autres définitions que les miennes, je ne suis pas pour une pensée unique — même si c’est la mienne ! Mais il m’a semblé qu’avec ces 80 pages je pouvais apporter une petite pierre au débat alors j’ai décidé de les mettre à la disposition de celles et ceux qui souhaiteraient les utiliser — à condition toutefois que ce ne soit pas dans un but commercial.

Vous pouvez les lire en format numérique sur le site du livre ou les télécharger en PDF – soit depuis le site du livre, en cliquant sur « Quelques textes à la disposition des professeurs, des élèves (et de leurs parents) et des autres personnes que cela pourrait intéresser », soit en cliquant sur ce lien : la version PDF téléchargeable comporte un peu plus de pages que la version numérique (une centaine en tout) parce que j’y ai joint en avant-propos les axiomes de David Hilbert, dont je me suis inspiré pour construire le livre. Avec des différences flagrantes, et j’essaie de m’en expliquer dans cet avant-propos — ne serait-ce que parce qu’il serait inconvenant de comparer l’extraordinaire travail de Hilbert à ce qui n’est qu’une simple approche pédagogique de sa géométrie (et donc de celle d’Euclide).

Fondamentalement, ce que je voudrais partager avec cette première partie de « … donc, d’après… », c’est cette idée que les mathématiques — oui, même celles du collège — sont naturellement intéressantes. Belles. Elles n’ont besoin ni de maquillage pour attirer, ni d’artifices douteux pour passionner.

En partage toujours, vous trouverez sous le même lien (Quelques textes à la disposition des professeurs, des élèves etc.) 2 feuillets PDF de 4 pages A4 chacun (imprimables en recto-verso d’une page A3) dont l’un regroupe des définitions, l’autre des théorèmes extraits du livre et utiles pour le collège. Ces feuillets sont le résultat d’un travail collaboratif entre professeurs enseignant en collège.

Enfin, vous y trouverez l’introduction à la partie 3 du livre (évolutions dans un plan) — dont une arborescence déjà largement dupliquée… et une version JPG de cette arborescence, éventuellement utilisable en poster !

Au sujet de cette arborescence et des définitions du livre, malgré mon attachement maladif à la rigueur il m’a bien fallu parfois composer avec des définitions trop établies pour qu’il soit raisonnable de vouloir les modifier.
 
En particulier, un parallélogramme étant un descendant direct (un « enfant ») des trapèzes, sa définition aurait dû commencer par : « trapèze dont… » , suivi d’une unique propriété supplémentaire. C’est ce que j’ai fait dans le livre — le contexte me le permettait — mais dans le « 4 pages » de définitions, il a été décidé de garder la « définition » usuelle au collège : quadrilatère dont les côtés opposés sont parallèles… qui occulte le trapèze, dont les programmes
ne parlent plus, mais qui fait intervenir deux nouvelles propriétés.

 

Nombres et calculs

Sept ans après « … donc, d’après… », j’ai publié un 2e livre : « mathématiques du cycle 4 : nombres et calculs ».

Tout comme son grand frère, il n’est pas à l’usage des élèves, ce n’est ni un manuel ni un cours, mais à leur portée.

Pourquoi pas à leur usage ? Parce qu’il n’est pas dédié à la « pratique » d’une année scolaire, il n’est pas centré sur les « attendus de fin d’année » tels que présentés au Bulletin Officiel : si son contenu était un iceberg, ces « attendus de fin d’année » en seraient à peine la partie émergée.

Ce n’est évidemment une critique ni des manuels ni du BO [1] : le but de ce livre est l’approfondissement de ce que les collégiens découvrent du numérique au cycle 4, j’essaie d’y construire — dans des limites raisonnables — les maths du collège, de donner du sens aux nombres, à leurs opérations, à leurs relations.

Toutefois, contrairement à « … donc, d’après… » cette construction n’est pas axiomatique : la géométrie s’y prêtait assez facilement, d’une part elle est visuelle et d’autre part la progression de son enseignement, au BO, en suit plus ou moins la progression axiomatique. Pour les nombres, c’est plus compliqué : la logique axiomatique aurait voulu la découverte de $\mathbb{N}$, l’étude de ($\mathbb{N}$,+,x), puis son extension à ($\mathbb{Z}$,+,x), puis ensuite seulement l’extension à ($\mathbb{Q}$,+,x) — dont ($\mathbb{D}$,+,x) n’aurait été qu’un simple cas particulier… et enfin une introduction au corps des réels. Mais cette progression aurait été intenable dans un monde où « savoir compter » est nécessaire dès le plus jeune âge.

J’ai donc préféré construire le numérique comme une extension de ce qui a été enseigné au cycle 3, que je prends comme point de départ et sur lequel je reviens dans les 30 premières pages du livre. Et comme toute ma construction s’appuie sur ces 30 pages, il m’a semblé normal — comme pour « la base de la base » du premier livre — de mettre ce « survol des acquis du cycle 3 » à la disposition de celles et ceux qui souhaiteraient les utiliser — toujours à condition toutefois que ce ne soit pas dans un but commercial.

Tout comme pour « … donc, d’après… », vous pouvez donc les lire en format numérique sur le site du livre ou les télécharger en PDF — soit depuis le site du livre, en cliquant sur « Quelques textes à la disposition des professeurs, des élèves (et de leurs parents) et des autres personnes que cela pourrait intéresser », soit en cliquant sur ce lien.

En pratique, je suis donc parti des nombres du cycle 3 mais je les ai immédiatement ancrés dans une graduation d’une demi-droite.

D’une part parce que, comme je l’ai déjà dit, la géométrie offre un support visuel. Mais surtout parce qu’au cycle 4 le numérique et la géométrie s’enchevêtrent constamment, ils s’appuient l’un sur l’autre pour progresser suivant le schéma bien connu de l’échelle de perroquet. Pour finalement constituer un tout abouti, construit, harmonieux. Des mathématiques, quoi.

Les nombres (décimaux) relatifs

Aux nombres de $\mathbb{D}+$ j’associe des points d’une demi-droite.

De cette demi-droite la géométrie nous emmène — par une symétrie centrale — à une droite, et une graduation associée à cette droite contient (entre autres) tous les nombres de $\mathbb{D}$.

Les nombres rationnels

Par une application du théorème de Thalès, la géométrie nous montre ensuite qu’il existe des points de cette droite qui n’ont pas d’abscisse décimale… mais que pour certains d’entre eux, ça n’a rien de dramatique, il suffit de partager autrement le segment-unité de la graduation choisie (le partage, toujours… sans lui, où irions-nous ?)

Non seulement la géométrie nous permet donc de découvrir les nombres rationnels, mais en plus elle nous en souffle une écriture. Et en passant, elle met en évidence que les décimaux forment une partie des rationnels, une partie ni plus ni moins intéressante que de nombreuses autres (en tant qu’ensemble de nombres, bien entendu : il est évident que, dans la base où nous avons décidé de compter, elle est prépondérante) !

Une escapade ensuite, vers des rudiments de l’arithmétique qui pourraient sembler n’être en rien utile à la suite de cette exploration… mais qui se révèlent indispensables à l’introduction d’une nouvelle extension.

Les nombres réels

Par un autre théorème bien connu, celui de Pythagore, la géométrie nous démontre ensuite sans trop de difficultés — même en cycle 4 ! — qu’il reste encore des points de notre droite sans abscisse… ou plus précisément, sans abscisse rationnelle. « Combien » ? Comme le dirait Kipling, ceci est une autre histoire. Le cycle 4 s’arrête là.

… et des calculs

Ça, c’était pour les nombres. Mais dans « nombres et calculs » il y a aussi « calculs ». Et là encore, ancrer le numérique du cycle 4 sur la graduation d’une droite m’a semblé presque inéluctable, naturel : ça me permettait d’interpréter géométriquement les opérations du cycle 3 comme des déplacements (avancer, reculer…) et donc par la suite de pouvoir imaginer les propriétés des opérations du cycle 4 comme des transpositions de propriétés de déplacements, vraies pour tous les points de la droite et pas seulement pour un sous-ensemble plus ou moins réduit que nous observons. Ce qui apporte un support géométrique — encore une fois, visuel ! – à ces opérations, facilite leurs extensions successives des entiers naturels aux nombres rationnels et préfigure leurs extensions aux irrationnels. Et, presque accessoirement, permet également de travailler sur les relations entre nombres.

(Le cours…) était habituellement un dialogue entre mes élèves et moi…
— couverture de « …donc, d’après… », par ma fille Lauréline… on est toujours trahi par les siens ! —

 

Encore un mot sur le partage

Sur le site du livre, vous trouverez « un outil complémentaire : les feuilles de synthèse ». Elles font partie de ces éléments que je voudrais partager avec vous : dans la partie « le coin de l’auteur » du site du livre, cliquez sur « à propos… des synthèses  » pour en suivre le principe.

Il y en a actuellement 26 — mais je suis loin d’en avoir terminé avec ce travail. Une fois que ce sera fait vous disposerez au moins de l’esprit du livre. Évidemment, elles sont à votre disposition, toujours sous les mêmes licences Creative Commons que les autres documents (principalement : pas dans un but commercial !)

 

Et maintenant ?

Je travaille au 2e tome de « mathématiques du cycle 4 ». Il portera sur les quatre autres thèmes du cycle 4 : organisation et gestion de données, fonctions ; grandeurs et mesures ; espace et géométrie ; algorithmique et programmation.

Un tome complet pour « nombres et calculs » puis un seul tome pour ces quatre autres thèmes ? Bon, il sera certainement un peu plus épais que le 1er, mais pas tellement : la géométrie en occupera une petite moitié, les trois autres thèmes s’appuieront constamment sur elle et sur le tome 1.

Mais ce n’est pas pour tout de suite, je travaille lentement : l’écriture de « … donc, d’après… » m’a pris 4 ans, celle de « nombres et calculs » un peu plus de deux ans. Si les vents me sont favorables, peut-être ce tome 2 paraîtra-t-il à la fin de cette année… SI !

Et ensuite ? J’ai depuis longtemps un autre projet en tête, il me tient à cœur mais je suis bien trop superstitieux pour en dire davantage.

 

Je voudrais remercier l’APMEP d’Île-de-France — et tout particulièrement Michel Suquet — pour m’avoir si gentiment proposé de m’accueillir dans les « pages » des « Chantiers »… et pour leur patience.
 
Je voudrais également profiter de ces quelques lignes pour remercier à nouveau les organisateurs des Journées Nationales de l’APMEP à Bourges — et ici, tout particulièrement Vincent Beck — pour l’accueil qu’ils ont réservé à « Images des mathématiques » (nous étions trois à en tenir le stand) dans une atmosphère à la fois conviviale, chaleureuse et efficace.

 

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Les chantiers de pédagogie mathématique n°192 avril 2022

La Régionale Île-de-France APMEP, 26 rue Duméril, 75013 PARIS

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