Introduction
Amérique du sud, continent d’aventures et de mystères. Difficile de savoir ce qu’on va vivre lorsque l’on parcourt ses sentiers oscillant entre jungles et montagnes. En tout cas, en passant la porte de ce bar de village à l’écart des circuits touristiques, je ne m’attendais pas à un tel spectacle. Dans un coin de salle, un petit groupe bruyant entourait le « barman », un vieillard dont je ne mis pas très longtemps à comprendre qu’il ne pouvait assurer le service puisqu’il était aveugle. S’il était source d’agitation pour les buveurs, c’est parce qu’il réussissait à la surprise générale un tour assez étonnant.
Sur une table devant lui se trouvait un plateau ou étaient disposés quatre verres aux sommets d’un carré :
Il se faisait fort en quelques manipulations de parvenir à remettre tous les verres dans la même orientation (c’est-à-dire soit tous vers le haut, soit tous vers le bas) pour toute position de départ des verres.
C’est déjà assez fort pour quelqu’un qui ne peut voir les verres mais un client suspicieux lui avait passé des gants de boxe de sorte à ce qu’il ne puisse, au toucher, deviner l’orientation des verres. Pire encore, un autre client, taquin, prenait un malin plaisir à faire tourner de temps à autre le plateau à son insu.
Et pourtant, le « barman » arrivait à ses fins en moins de sept manipulations !
Étant resté suffisamment longtemps dans ce tripot, j’ai pu comprendre sa stratégie et je vous livre ici la succession de ses manipulations :
- retourner deux verres disposés selon une diagonale
- retourner deux verres disposés sur un même côté
- retourner deux verres disposés selon une diagonale
- retourner un verre
- retourner deux verres disposés selon une diagonale
- retourner deux verres disposés sur un même côté
- retourner deux verres disposés selon une diagonale
Visite à l’Atelier du Collège Becquerel
Cette histoire, pas tout à fait authentique, a servi de prétexte à une activité mathématique avec les trente élèves (classes de quatrième et de troisième) de l’Atelier mathématique du collège Henri Becquerel à Avoine, Indre-et-Loire, le 7 novembre 2019 (où j’étais à l’invitation du collègue Gilles Gourio).
Voici le déroulé complet de la séance pour des collègues qui voudraient la reproduire.
- Récit de l’histoire sans expliquer la stratégie du « barman aveugle ».
- Réalisation de l’expérience au tableau avec une personne experte qui joue le rôle du barman (donc qui ne voit pas le plateau), un assistant qui effectue les manipulations prescrites par le barman et un autre acteur qui joue le voisin taquin. En pratique, nous avons utilisé un plateau de fromages tournant et quatre gobelets en carton.
- Discussion sur la façon de prouver que la stratégie du barman fonctionne. Il apparaît l’envie de tester toutes les possibilités.
- Essai statistique pratique : chaque élève est debout, sur sa table se trouvent quatre verres avec l’orientation qu’il choisit. Tous les élèves effectuent les étapes que dicte le barman. Un élève qui a tous ses verres convenablement orientés s’assied et arrête les manipulations. On constate qu’en au plus sept étapes, tout le monde est assis.
- Essai de modélisation par un automate avec plusieurs étapes :
- Calcul du nombre total de configurations $ 2^{4}=16$ (2 orientations possibles pour chacun des quatre verres)
- Réduction du nombre de configurations aux 4 réellement distinctes (à rotation près et à inversions des orientations près)
- Construction de l’automate en ajoutant les transitions, passage d’une configuration à une autre par une manipulation
- Vérification pratique de la stratégie du barman depuis chaque état
- Calcul du nombre total de configurations $ 2^{4}=16$ (2 orientations possibles pour chacun des quatre verres)
- Discussion sur l’intérêt de la synchronisabilité d’un automate (pouvoir ramener un appareil à un état de base même quand on a perdu les informations sur son état actuel).
- Adaptation de la stratégie précédente pour une situation avec trois verres alignés. Montrer que si les trois verres sont les sommets d’un triangle équilatéral, il n’est plus possible de synchroniser avec les conditions données.
Les étapes sous forme d’exercices
Exercice 1
Énumérer et dessiner les différentes dispositions des verres en carré.
Exercice 2
Justifier qu’avec les deux orientations et le voisin, il n’y a que quatre dispositions réellement différentes (dont une où les verres sont tous dans le même sens).
Par exemple, les quatre suivantes sont essentiellement identiques :
Exercice 3
Le jeu peut alors être représenté par un « automate » avec
- des « états » qui sont les différentes configurations,
- des transitions étiquetées par $u$, $d$, $c$ (qui désignent le retournement d’un verre, de deux verres disposés selon une diagonale et de deux verres disposés sur le même côté du carré respectivement) qui indiquent le passage d’un état à un autre.
Voici le début de l’automate où l’on a marqué les transitions depuis les états en bas (l’état en bas à droite étant celui de la fin du jeu, on a indiqué que les transitions ne faisaient plus changer d’état) :
Compléter cet automate.
Exercice 4
Vérifier que la stratégie du barman, notée par le mot $dcdudcd$, synchronise l’automate (en anglais, on dit que ce mot est un reset word de l’automate) dans l’état en bas à droite.
Exercice 5
Considérons trois verres alignés sur une table ronde. Que peut faire un barman aveugle avec des gants de boxe muni d’un voisin taquin qui peut après chaque manipulation sur les verres tourner la table d’un demi-tour ?
Exercice 6
Reprendre l’exercice précédent avec trois verres disposés en triangle.
La Régionale Île-de-France APMEP, 26 rue Duméril, 75013 PARIS