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Une approche créative des devoirs maisons
Article mis en ligne le 16 avril 2023
dernière modification le 11 août 2023

par Camille Lichère

Motivation et présentation

L’institution nous demande de proposer aux élèves des devoirs maison (DM). Mais dans les premiers DM que j’ai donnés cette année (qui étaient très classiques, c’est-à-dire de simples exercices d’application), j’ai pu constater que beaucoup d’élèves ne fournissaient pas un travail personnel (copies identiques à la faute d’orthographe près, ou réalisés par quelqu’un d’autre...). J’ai donc réfléchi à donner des DM qui ne sont pas des exercices types [1].

Parmi les pistes auxquelles j’ai pensées figurent : le fait de demander aux élèves de rendre un fichier audio ; leur donner un devoir dont les questions ont une infinité de réponses possibles (par exemple, un vecteur étant donné, demander de donner deux vecteurs dont la somme fait le vecteur donné) ; faire construire un diagramme en bâtons sur papier millimétré et évaluer surtout la précision et la pertinence du tracé ; ou encore un devoir qui consiste en le fait de rédiger des questions et d’y répondre. J’ai décidé de poursuivre cette dernière piste, et j’ai donc donné l’énoncé disponible en annexe.

Il s’agit d’un devoir maison adressé à des élèves de seconde et portant sur la séquence « Proportions et évolutions ». Les élèves disposaient des vacances de Noël pour le faire. Il a été donné une fois le chapitre sur les évolutions fini depuis deux semaines, dans une perspective de revoir ces notions avant le devoir commun prévu début janvier.

Les élèves pouvaient au choix faire un travail individuel ou en binôme : je n’aime pas imposer de travailler en groupe (surtout à la maison…), et en même temps je tenais à laisser l’alternative du binôme afin de ne pas me retrouver avec des copies identiques et pour explication « Ah, mais en fait on l’a fait ensemble… ».

 

Conception

La motivation initiale de ce sujet de DM était donc d’inciter les élèves à un travail personnel. J’ai réalisé en préparant le sujet, et en analysant les copies, qu’en réalité le fait de leur demander de formuler les questions avait d’autres intérêts : les inciter à se poser des questions mathématiques (et à voir où des questions mathématiques pouvaient surgir, au quotidien), s’entraîner à un bon usage du vocabulaire mathématique, leur faire lire le programme afin d’expliciter les capacités attendues, les inciter à replonger dans leur cahier d’exercices,… La liberté que semblait offrir le devoir était également appréciable pour les élèves, qui pouvaient choisir de mettre en valeur ce qu’ils savaient faire, et est donc particulièrement propice à la différenciation.

J’essaie d’ancrer les sujets que je propose aux élèves dans des données réelles et d’actualité, dans l’espoir que cela les intéresse un peu plus. C’est ainsi que lors d’une activité introductive sur les fonctions, j’ai proposé de s’intéresser aux températures qu’il avait fait l’avant-veille, ou que j’ai abordé le sujet des proportions et évolutions avec mes élèves de première STMG [2] en analysant les données disponibles en « Opendata » sur les effectifs de mon établissement, par filière et niveau.

Pour ce devoir, je suis partie des prix et évolutions 2022 — 2023 des tarifs des différents titres de la RATP. L’énoncé explique le contexte de l’évolution et fournit un tableau avec 13 lignes (une par titre de transport) et 3 colonnes (prix 2022, prix 2023, évolution 2022—2023). Le tableau est dans l’ensemble déjà rempli, avec trois lignes où seule l’évolution est mentionnée (car chacune de ces lignes regroupent des titres aux tarifs divers). Comme nous le verrons, ces cases vides ont été exploitées par certains élèves.

Parmi les choses que j’avais anticipées, il y a la difficulté de compréhension des consignes, qui étaient originales. C’est pour cette raison que j’ai lu et expliqué à l’oral les consignes, en insistant sur les points qui me semblaient importants. Je leur ai expliqué que j’étais convaincue que ce travail d’écriture d’énoncé, bien qu’inhabituel, pourrait leur être utile (précision dans le vocabulaire, prise de conscience des attendus,…).

Par ailleurs, j’ai anticipé le fait que les élèves n’aient pas d’idées. C’est la raison pour laquelle, plutôt que de leur donner une liste d’idées, j’ai choisi de mettre un extrait de programme sur le chapitre concerné. L’idée était aussi de rendre explicite les attendus que l’on a à leur égard : à l’issue du chapitre, je souhaiterais que les élèvent sachent manipuler des proportions, calculer des taux d’évolution, etc. Plus généralement, rendre explicite les attendus est une chose sur laquelle j’ai essayé de travailler. Par exemple durant l’année j’ai relevé les cahiers des élèves, mais avant de le faire je leur ai donné une feuille avec la liste de mes attendus et deux colonnes : une pour l’auto-évaluation, une pour l’évaluation.

Enfin, en ce qui concerne la différenciation, je trouve que ce type de devoir a un gros potentiel : par son format assez peu scolaire, il peut convenir à des élèves divers. De plus, la possibilité qui leur est offerte de choisir les questions auxquelles ils doivent répondre, permet aux élèves de s’adapter à leurs propres capacités, et d’en prendre conscience. Il y a même, pour les élèves en très grande difficulté mathématique, la possibilité de pouvoir formuler des questions même s’ils ne sont pas capables de répondre. Au contraire, rien n’empêchait les élèves les plus à l’aise de se montrer ambitieux.

 

Première appréciation du rendu

Dans l’ensemble, j’ai été très satisfaite de ce que m’ont rendu les élèves. Pour un DM non noté, beaucoup ont essayé de le faire sérieusement. Il y a peu d’élèves qui n’ont pas du tout compris la consigne et quasiment tous les élèves ont proposé au moins une question tout à fait en rapport avec le chapitre. J’ai également observé peu de triche (je n’ai eu que deux paires de copies identiques).

En ce qui concerne la différenciation, j’ai constaté que les élèves très en difficulté ont au moins pu essayer de formuler des questions. Pour les élèves à l’aise avec le chapitre, beaucoup ont rendu quelque chose de raisonnable sans être réellement ambitieux.

 

Analyse de la partie « énoncé »

Il y avait une réelle diversité des questions possibles : les élèves pouvaient recopier le tableau intégralement, ou partiellement (en omettant des données), ou pas du tout (et dans ce cas il convenait de rappeler les données nécessaires). Dans les deux derniers cas, les élèves pouvaient éventuellement vérifier la cohérence de leur résultat avec les données du tableau.

copie de J. (extrait)
copie de El. (extrait)
Fig. 1 : Extraits des copies de deux élèves

Sur les 20 copies reçues, voici les types de questions choisis par les élèves :

  • La plupart ont demandé de calculer une valeur initiale, finale ou un taux d’évolution, en oubliant parfois de rappeler les données utiles à la résolution.
  • Quelques élèves ont demandé de calculer un taux réciproque, sous différentes formes « Quel est le taux réciproque / coefficient multiplicateur réciproque ? » / « De combien dois-je diminuer après telle augmentation pour revenir au prix initial ? », montrant par la deuxième version qu’ils ont compris quelle était l’idée derrière une évolution réciproque.
  • 3 élèves ont recopié le tableau en grisant certaines cases (une par colonne, ce qui fait qu’ils obtiennent trois questions à la résolution non identique, respectant ainsi le troisième tiret de la consigne).
  • Certains élèves ont choisi de donner des valeurs aux cases laissées vides, comme dans la question 2 de J. (voir figure 1) ou dans les questions 2 et 3 d’El. (voir figure 1). Certains élèves sont même allés chercher les informations manquantes sur le site d’Île-de-France Mobilités et ont cité leurs sources !
  • D’autres ont posé des questions sous la forme suivante : « Comment procède-t-on afin de calculer… ? Prenez pour exemple tel titre de transport. », comme dans la copie d’El. (voir figure 1). J’ai trouvé cela intéressant et cela m’a un peu surprise, car je n’ai jamais posé de telle question d’ordre méthodologique en devoir.
  • Certains ont imaginé des situations d’évolutions successives, en formulant plus ou moins bien les questions.
  • Seule une élève m’a parlé de proportion :
    Fig. 2 : Extrait de la copie de N.
  • Quelques questions de proportionnalité également (par exemple la question 3 de J., voir figure 1), bien qu’on n’ait pas spécifiquement travaillé sur la proportionnalité dans le chapitre. C’était cependant intéressant qu’ils formulent de telles questions, car c’était des questions tout à fait légitime dans la situation présentée.

L’erreur la plus courante est de ne pas avoir rappelé les données qui étaient nécessaires pour répondre aux questions (malgré le fait que je l’ai demandé dans la consigne). Une piste d’amélioration serait alors de plus insister sur cet aspect au prochain DM, ou de mettre les élèves véritablement dans une situation où ils produisent un énoncé pour d’autres élèves. On pourrait ainsi envisager de faire une séance de révision sur le chapitre sur la base des exercices proposés par les élèves, ou encore une co-construction de l’évaluation sommative du chapitre à partir des questions proposées. Une autre piste serait de faire faire le DM en deux étapes : dans une première étape, les élèves me rendent les questions, je valide ou non, puis ils font les réponses. Je reviens plus loin sur deux dispositifs qui prolongent cette réflexion.

Une autre chose que j’ai relevée est des petits soucis de vocabulaire spécifique au chapitre : confusions entre « valeur absolue / variation absolue » (voir figure 5) ; entre coefficient multiplicateur et taux d’évolution. Il y a également eu des confusions sur le vocabulaire mathématique, par exemple dans la copie ci-dessous (voir figure 3). Cela résonnait avec les constats que j’ai pu faire dans le devoir commun, où beaucoup d’élèves ne répondent pas par un calcul à une question qui commence par « Calculer l’image de 4 par la fonction $f$ ».

copie de K. (extrait)
copie de N. (extrait)
Fig. 3 : Extraits des copies de deux élèves

Enfin, quelques élèves ont proposé plusieurs questions à la résolution quasi-identique, mais cela reste marginal.

 

Analyse de la partie « réponses »

Dans l’ensemble, les élèves ont eu plus de difficultés à répondre rigoureusement aux questions posées. Il y a eu quelques confusions (notamment la présence de plusieurs pourcentages a induit en erreur certains élèves qui ont cru à des évolutions successives), beaucoup de calculs non expliqués et peu d’élèves ont produit des phrases de conclusion à l’issue de ces calculs. J’ai d’ailleurs été surprise de constater que même dans un DM, certains élèves continuent à produire des calculs hasardeux sans se référer à leur cours.

Fait intéressant : les deux élèves ayant formulé des questions d’ordre méthodologique font moins de choses hasardeuses quand ils répondent à une question sous la forme « Expliquer comment procéder pour… » (car j’imagine que dans ce cas ils se basent sur leur cours), que quand ils répondent à une question directe. Ce constat me motive à poser plus souvent des questions de la forme « Comment fait-on pour… ? », notamment lors du travail sur les automatismes, comme suggéré dans les ressources d’accompagnement proposées sur Eduscol.

De plus, certains élèves ne semblaient pas s’alarmer de ne pas avoir trouvé des résultats en cohérence avec ce qui a été présenté dans le tableau. Plusieurs explications possibles : ils n’ont pas vraiment compris le tableau, ou n’ont pas pris la peine de le consulter, ou n’ont pas fait l’effort de trouver leur erreur ?

Enfin, j’aimerais m’attarder sur une copie qui m’a parue intéressante : Ev. a proposé la question suivante, et a fourni une réponse :

Fig. 4 : Extraits des copies de Ev.
il avait calculé à la question précédente le taux d’évolution du Navigo mensuel

J’ai annoté sa copie afin de lui proposer de réfléchir autour de la notion de « plus grande augmentation » :

Fig. 5 : Mon commentaire sur la copie d’Ev.

Nous avions discuté en cours de ces deux possibilités pour comprendre le mot « augmentation ». À l’époque je ne pratiquais pas les débats, mais si c’était à refaire je pense que je marquerais un moment pour demander aux élèves, à leur sens, lequel des deux titres de transport avait subi la plus grande augmentation : font-ils plus spontanément référence à l’évolution relative ou absolue ? Cet exemple est particulièrement pertinent puisque, suivant que l’on considère une augmentation absolue ou relative, on n’obtient pas la même conclusion. Concernant cette copie, c’est donc moi qui ai joué l’élève afin d’inciter Ev. à se rendre compte que sa question n’était pas très précise.

Mais on aurait pu imaginer, comme je le mentionnais plus haut, de faire faire aux élèves une sorte de correspondance mathématique, c’est-à-dire que leur énoncé soit réellement posé à d’autres élèves. C’est l’idée des dispositifs « Figures téléphonées » (dans lesquelles des élèves de collège écrivent un programme de construction qui est ensuite réalisé par d’autres élèves) ou « Écrire un énoncé ». Ces deux dispositifs sont présentés dans l’article du Bulletin de l’APMEP n°457 p.187-203 : Expériences pédagogiques d’Yvan Monka).

Les auteurs qui les présentent en font un retour positif, notamment parce qu’ils contribuent à la prise de conscience de l’importance de la précision du vocabulaire. Ils indiquent également que le fait de s’adresser à d’autres élèves est un levier de motivation.

 

Retour en classe

J’ai rendu ces DM une semaine plus tard en classe. J’ai dit aux élèves que j’étais très contente parce que pour la plupart, ils avaient vraiment essayé et avaient posé des questions pertinentes, avec des résolutions plus ou moins réussies. J’ai discuté plus tard avec eux du vocabulaire mathématique (« calculer »/« montrer »), en lien avec le rendu du devoir commun.

 

Retour pour moi

J’ai trouvé cette évaluation très adaptée. C’était particulièrement réjouissant pour moi de voir ce dont les élèves sont capables plutôt que de ne voir que leurs échecs.

Malgré des consignes longues et inhabituelles, elles ont généralement été respectées, et le travail des élèves semblait personnel dans l’ensemble.

Je le referais volontiers, sous cette forme ou sous forme téléphonée, et ai conseillé ce genre de DM à des collègues et camarades. Concernant ma pratique, le fait d’avoir trouvé des sujets de DM qui « marchent » m’a redonné espoir dans la pratique des DM. J’ai même décidé désormais de les noter afin de valoriser et d’encourager ce travail.

Également, cela me fait réfléchir sur le fait de donner des exercices moins « scolaires » afin de prendre en compte la diversité des élèves.

Pour approfondir le DM, je me pose deux questions : comment inciter les élèves plutôt à l’aise à être ambitieux, en posant des questions qui ne soient pas des applications directes de la définition ? Et par ailleurs comment inciter à une prise de recul et une analyse sur les données ? Par exemple, on pourrait se demander ce qui a amené la société Île-de-France Mobilités à choisir ces taux d’augmentation, et le contexte politique dans lequel cela s’inscrit. On aurait par exemple constaté que l’augmentation était restreinte pour les jeunes (pass ImaginR) et beaucoup plus importante pour les personnes de passage (Navigo semaine).

 

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Les chantiers de pédagogie mathématique n°196 avril 2023
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