Une importante exposition se tient actuellement au Louvre, pour célébrer le demi-millénaire de la disparition de Léonard de Vinci. Exposition à laquelle Les Chantiers ne sauraient trop vous recommander de vous précipiter.
Autour de cette exposition , le C2RMF ( Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France) organisait un après-midi de formation en collaboration avec l’Université Paris-Saclay. Le thème en était « Léonard et la science ».
Pierre Pansu, enseignant chercheur à l’Université Paris Saclay, y proposait un exposé sur « Léonard mathématicien ». Il a bien voulu confier ses notes au reporter des Chantiers, afin de vous faire partager quelques extraits de son exposé. Donnons lui la parole…
Léonard et la lune
Voici d’abord une contribution de Léonard à une question d’astronomie : l’explication de la lumière cendrée de la Lune. À la tombée de la nuit, lorsque la Lune présente un croissant, sa partie sombre n’est pas totalement obscure, on l’aperçoit, comme sur ce croquis du codex Leicester. Pourquoi ?
Voilà l’explication de Léonard : la Lune est éclairée par le reflet de la lumière solaire sur la Terre.
Vous observez depuis la Terre que, juste à la limite entre ombre et lumière, la Lune est située plutôt du côté du Soleil, elle fait face à la face éclairée de la Terre. Cette explication s’est avérée correcte, le codex Leicester est la plus ancienne trace connue de ce raisonnement physico-géométrique.
La rencontre avec Luca Pacioli
L’intérêt de Léonard pour les mathématiques date de sa rencontre avec Luca Pacioli en 1496 à Milan. Léonard avait 44 ans. Pacioli était célèbre pour son livre « Summa de arithmetica… », qui rassemblait une masse considérable de connaissances, allant de la géométrie à la comptabilité. Le livre était très austère : aucune figure.
À la suite d’un tournoi scientifique organisé par le Duc de Milan, Pacioli écrit un nouveau livre, magnifiquement illustré, celui-là, par Pacioli lui-même, et par Léonard, qui a notamment dessiné les polyèdres archimédiens dont la représentation est restée célèbre. Le titre du livre « De Divina Proportione », désigne le nombre d’or, nécessaire pour construire un pentagone régulier comme celui qu’on voit sur cet icosidodécaèdre. Il semble que ce soit la plus ancienne représentation connue de ce polyèdre.
Des soucis avec le calcul
Léonard a possédé un exemplaire imprimé de la « Summa de aritmetica, geometria… » ouvrage écrit en langue vulgaire (et non en latin, que Leonard n’a pas encore appris). À 44 ans, il se lance donc dans l’étude des mathématiques, en commençant par les plus élémentaires. Sur cette page de carnet datée de 1497, il potasse la division des fractions.
Attention, si le texte se lit de droite à gauche, les équations, elles, se lisent de gauche à droite, vous reconnaissez $ \dfrac{3}{4}$, $ \dfrac{2}{3}$ et $ \dfrac{8}{9}$, mais la notation de Léonard n’est pas la même que la nôtre : il veut dire $ \dfrac{2}{3}$ divisé par $ \dfrac{3}{4}$ égale $ \dfrac{8}{9}$. Il conteste : comment $ \dfrac{8}{9}$, qui est plus grand que $ \dfrac{2}{3}$ peut-il être le résultat de la division de $ \dfrac{2}{3}$ par quelque chose ? Il propose une autre méthode, fantaisiste, pour diviser les deux fractions, son résultat est $ \dfrac{6}{9} = \dfrac{2}{3}$.
Même si dans le cas présent, il se trompe, on voit ici en fonctionnement son esprit, toujours vigilant, toujours critique, qui tient à tout vérifier par lui-même.
Calcul d’aires : les lunules de Léonard
Cette contribution est plus connue que la précédente, plus convaincante aussi… Sur une grande page datée de 1508, il dessine plusieurs fois à main levée la même configuration de deux lunules perchées sur un triangle rectangle, puis il en dessine une, reproduite ci-dessous, à la règle et au compas :
Voici le problème : montrer que la somme des aires des deux lunules est égale à l’aire du triangle rectangle. La solution, rédigée et illustrée avec grand soin, se trouve dans le catalogue de l’exposition. Mais elle n’est pas de la main de Léonard…
Léonard et les pyramides
Léonard s’intéresse à la position du centre de gravité d’une pyramide.
Il donne une première méthode : il relie le sommet au centre de gravité de la base, il divise cette médiane en 4 parties égales. Le premier échelon est le centre de gravité de la pyramide. Dans le cas d’un tétraèdre, il affirme que lorsqu’on choisit deux arêtes opposées, qu’on place leurs milieu, et qu’on prend le milieu de ces deux milieux, on retrouve le centre de gravité. Il donne une démonstration, valable seulement pour le tétraèdre régulier.
Même si ces résultats étaient probablement déjà connus, cela montre une bonne intuition géométrique (meilleure que pour les fractions)…
Léonard et les causes perdues
Ignorant combien ses chances de succès étaient minces, il n’a pas craint de se frotter à des problèmes célèbres de l’Antiquité : la duplication du cube, ou la quadrature du cercle. En témoignent ces extraits du Codex Atlanticus où Léonard tente une audacieuse généralisation en 3D du théorème de Pythagore :
ou cette floraison de dessins décoratifs où il tente d’approcher un disque avec des lunules.
Ce rapide survol de la contribution aux mathématiques de Léonard de Vinci vous aura, je l’espère donné envie de visiter l’exposition du Louvre.
Elle vous aura aussi convaincu que Léonard était un précurseur. Il affirme que la science commence par l’observation, induit des lois, déduit des prédictions (c’est là que les mathématiques jouent un rôle) et les vérifie sur de nouvelles expériences. Il a parfaitement compris la démarche scientifique. Et il n’a pas peur d’essayer inlassablement, de réfléchir par lui-même, de prendre le risque de se tromper, attitude des plus fécondes en mathématiques…
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