Un atelier pour la Fête de la science
Le même atelier à la Fête de la science pour des CE1 et des 5es ?
C’est la question que m’a posée Thomas Morand, un de mes anciens étudiants de M2, maintenant en première année de thèse, et qui animait son premier atelier lors d’une Fête de la science 2023, quand il a vu qu’il nous avait été attribué l’atelier « Solides et Origamis » pour deux classes a priori si différentes.
Cet atelier, je le connais bien, je l’ai souvent animé lors de la Fête de la science ou en visite dans des écoles des Ulis, de Massy, et des alentours. On a fait le point, réappris le pliage du tétraèdre… mais comme d’habitude il est passé à l’as et j’ai dit à Thomas : « T’inquiète pas, on va bien s’amuser et tu verras, on leur fera vraiment faire des maths… »
On a donc reçu une classe de 5e puis une classe de CE1 dans la matinée du vendredi 6 octobre 2023 au Laboratoire de Mathématiques d’Orsay.
On avait prévu le déroulé suivant (pour une heure et demi) :
- Accueil.
- Discussion à bâtons rompus sur les solides.
- Manipulation avec des polydrons.
- Mise en commun de ce qui a été trouvé.
- Si le temps le permet, pliage d’un tétraèdre.
Séance avec la classe de 5e
Il est 9 h, les élèves de la classe de 5e arrivent, accompagnés de leurs enseignant⋅e⋅s de mathématiques et de physique-chimie. Ils s’installent sur des tables en îlots ; ils sont surpris quand on leur demande de ne rien mettre sur leur table, alors que certains avaient déjà sortis carnet de liaison, trousse et cahier ou feuilles, et de nous laisser une place au cas où on voudrait travailler avec eux…
Tout le monde est prêt, on accueille le groupe : « Bonjour je m’appelle Anne, je travaille à l’université d’Orsay depuis longtemps maintenant : je suis à la fois enseignante et chercheuse. Thomas, tu te présentes ? » Thomas explique qu’il étudie ici depuis un certain temps et que cette année il a commencé une thèse. On enchaîne sur « ce qu’on fait à la fac », sur le moment où on peut y aller : ce sont des collégiens, ils savent qu’ils iront au lycée, passeront le bac et ensuite feront des études, peut-être à la fac…
On revient alors sur la recherche et sur le métier de chercheur. On leur explique qu’on va essayer de leur faire comprendre ce que cela signifie et que pendant le reste de l’heure on va travailler et chercher sur des solides.
On entame une discussion sur les solides, on veut fixer le vocabulaire, savoir de quoi on parle tous, c’est une étape importante de notre travail : fixer les définitions avec lesquelles on va travailler. Là, il faut remarquer que cette classe est accompagnée par son enseignant de physique-chimie et visiblement ils sont très savants sur les solides. Nous avions besoin qu’un solide soit en trois dimensions, qu’il ait un intérieur et un extérieur et que certains aient des faces planes et nous avons eu comme exemple… le verre plein d’eau liquide ! L’enseignant de physique a l’air déstabilisé par la définition d’un solide que nous étions en train de construire avec la classe… On s’en est sorti en disant que : « les solides qui nous intéressent aujourd’hui ont un intérieur et un extérieur, des faces planes et même que dans peu de temps elles seront toutes des triangles équilatéraux de même taille ». On fixe le vocabulaire des faces, arrêtes, sommets en prenant une boîte et en demande à un élève de les montrer.
On sait de quoi on parle, on peut travailler.
On rappelle le maniement des polydrons puis on distribue à chaque élève 4 triangles et ils fabriquent tous assez rapidement un solide qu’ils nomment pyramide ou tétraèdre. On leur demande de compter les faces, les sommets, « c’est facile Madame ! »
Les arêtes, ils ne sont pas tous d’accord au départ, mais ce n’est pas encore trop ardu… On note au tableau les résultats, on garde un tétraèdre pour la collection de la classe et on distribue un triangle de plus à chacun : est-ce qu’on peut faire la même chose ? « Ben non ! on le voit bien. » Mais oui ! je le vois bien, mais pourquoi ? Les élèves se sont attelés à trouver une réponse et cela a été dur de comprendre pourquoi. Beaucoup se contenteraient bien de passer à la suite.
Certains disent qu’il reste un trou et arrive un élève qui explique qu’il reste 4 arêtes dans le trou et qu’il n’y a que la possibilité d’avoir 3 arêtes pour combler le trou. On le félicite, on réexplique puis on écrit au tableau pas possible pour 5 triangles de construire un solide.
Allez on y va pour 6, 7, 8, 10… beaucoup de triangles. La consigne est claire : construire des solides dont les faces sont exactement les triangles qu’ils ont entre les mains, leur trouver un nom, compter le nombre de faces, de sommets et d’arêtes.

Tous sont au travail, Thomas passe d’un îlot à l’autre, je gère le tableau, les enseignants font compter, les élèves se rendent vraiment compte que ce n’est finalement pas si facile de compter les sommets et les arêtes quand il y a beaucoup de faces… C’est un peu le bazar, mais c’est jour de fête ! On remplit tranquillement notre tableau, la collection des solides de la classe s’agrandit, il faut être sûr que le solide qu’on veut rajouter n’y est pas déjà…
Nom | Nombre de faces | Nombre d’arêtes | Nombre de sommets |
Pyramide | 4 | 6 | 4 |
Masque | 8 | 13 | 6 |
Diamant | 6 | 9 | 5 |
Pac mon | 10 | 15 | 7 |
Maxime | 10 | 15 | 7 |
L’heure commence à tourner, on arrête tout, ils se rassoient et ils contemplent la collection de solides de leur classe et le tableau.
Thomas a rajouté deux colonnes au tableau : il y avait pour chaque solide son nom, son nombre de faces, son nombre de sommets et son nombre d’arêtes et il a rajouté une colonne « nombre de faces + nombre de sommets » et une colonne « nombre d’arêtes + 2 ». On complète ces deux colonnes. « On voudrait bien qu’elles soient égales ces deux colonnes, sauf pour une ligne ! »
Trop bien pour nous ! il y a une erreur : le « masque » n’a pas le bon nombre d’arêtes visiblement. Celui qui a fait les comptes vient au tableau et recompte le nombre de faces, de sommets ; on voit que c’est difficile de ne pas en compter deux fois ou de ne pas en oublier… Il faut faire tourner le solide, prendre des repères. Bref, même en 5e, c’est compliqué… Un deuxième élève vient l’aider dans la manipulation pour être sûr que tout est bien. Arrive maintenant la partie la plus critique, le nombre d’arêtes, au bout de quelques essais infructueux, on entend dans la classe que le masque est symétrique et qu’on n’a qu’à compter que la moitié.
Les deux élèves s’y mettent et ils comptent les 7 arêtes qu’ils voient et donc 14 et rajoutent une dernière qui est en dessous (celle à ne pas oublier), nous voici avec 15 arêtes ! Un élève dans la classe trouve qu’il y en a vraiment trop : on recommence, on retourne cette fois-ci le solide et oui il y en a 3 qu’on a comptés deux fois, il faut les enlever. Ils corrigent l’erreur du tableau et ils ont envie de conjecturer que les deux dernières colonnes sont égales. Thomas explique que c’est un théorème (d’Euler-Poincaré) qu’on peut démontrer et qu’ils l’ont vérifié sur beaucoup de cas particuliers.
Nom | Nombre de faces | Nombre d’arêtes | Nombre de sommets | Nombre de sommets + nombre de faces |
Nombre d’arêtes +2 |
Pyramide | 4 | 6 | 4 | 8 | 8 |
Masque | 8 | 12 | 6 | 14 | 14 |
Diamant | 6 | 9 | 5 | 11 | 11 |
Pac mon | 10 | 15 | 7 | 17 | 17 |
Maxime | 10 | 15 | 7 | 17 | 17 |
Il reste un peu de temps, on efface ces deux dernières colonnes et on regarde les nombres qui sont écrits au tableau. On se concentre sur le nombre de faces et le nombre d’arêtes, les élèves regardent et tentent de trouver des relations, assez rapidement arrivent des relations comme « le nombre de la deuxième colonne c’est celui de la première plus 5… », « non… ça ne marche pas, on va dire plus 4 » et on calcule puis on écrit au tableau pour être sûr. Ce sont les élèves qui aboutissent au fait qu’on rajoute la moitié.
Arrive dans les murmures de la classe un mot qu’on n’attendait pas : « proportionnalité » et un calcul du coefficient : « on divise par 2 et on multiplie par 3 », certains sont dubitatifs et osent le dire, on fait un énorme exercice de calcul mental pour vérifier que ça marche. On a une conjecture : le nombre d’arêtes d’un solide construit comme on vient de le faire est égal à $\dfrac{3}{2}$ fois le nombre de faces.
Thomas leur pose la question : « vous sauriez la démontrer ? » La classe réfléchit, certains ont des triangles dans les mains, arrive une démonstration : sur chaque face, il y a 3 arêtes, donc on peut multiplier le nombre de faces par 3. Chaque arête est commune à deux faces, donc il est naturel, de diviser maintenant par 2.
On valide, réexplique, je sors la boite du départ, « Est-ce que c’est vrai pour cette boîte ? » Alors tout de suite, ils comptent mentalement les arêtes et les faces de la boîte, ils calculent, s’aperçoivent que cela ne va pas, ils énoncent une nouvelle conjecture, veulent la montrer, certains ont compris tout de suite, d’autres ont besoin du support de deux feuilles pour expliquer, mais ils ont tous compris.
On a dépassé l’heure, tant pis pour le pliage ! On prend le temps de faire une petite conclusion et de dire qu’en tant que chercheur donner un nom aux objets avec lesquels on travaille c’est une étape souvent compliquée — eux aussi ont eu du mal et… « chocolatine » pour un nom de solide, cela ne nous renseigne pas beaucoup sur lui.
Merci à cette classe avec laquelle on a bien travaillé et à leurs enseignants.
Séance avec la classe de CE1
Il est presque 11 h mais où sont les élèves ? Ils arrivent enfin (leur bus les avait oubliés). On les accueille en disant d’enlever leur manteau et de poser leur sac au fond. Ils s’installent sur les îlots : 4 tables d’élèves et une table avec des parents et leur maîtresse.
Tout le monde est prêt, c’est parti, on se présente et, là, il faut expliquer bien plus où on est. Le parcours pour devenir étudiant n’est vraiment pas clair, après l’école ils ne savent pas très bien où ils iront et à quel moment on passe le bac. C’est vrai que « dans dix ans » c’est très compliqué du haut de ses six ou sept ans… Puis on parle de notre métier « enseignant et chercheur », enseigner cela va encore : ils savent ce que fait leur maîtresse, mais « chercher » c’est encore plus compliqué que de savoir ce qu’est l’université. Finalement on leur dit qu’on va chercher sur des solides et on lance une discussion dessus.
Les élèves de cette classe de CE1 sont très vite arrivés à dire qu’un solide avait de l’épaisseur que souvent on pouvait le poser sur la table ; ils ont vu une balle de tennis et ont dit qu’elle était un solide, pareil pour le tube de colle et pour la boîte en carton. On leur a demandé la différence entre la boîte et la balle, la notion de « plat » et de « faces » est alors arrivée.
On a enfin introduit la définition avec laquelle on allait travailler ensemble (la même que celle pour les 5es), en utilisant la boîte pour matérialiser l’intérieur et l’extérieur du solide, les faces, les sommets et les arêtes du solide. On a pris le temps de poser la main à plat sur la boîte pour bien comprendre les faces, suivre les arêtes avec l’index et poser un doigt sur chaque sommet de la boîte. Les élèves ont compté 5, 7, 6, 8 faces, sur la même boîte. C’est donc difficile de dénombrer le nombre de faces d’une boîte en carton, il faut s’organiser et au fur et à mesure le comptage devient efficace, tous sont convaincus qu’elle a 6 faces. On recommence pour les sommets, c’est un peu plus facile car ils ont posé la boîte puis le nombre d’arêtes c’est dur également mais on va y arriver quitte à se mettre à plusieurs pour ne rien oublier mais aussi pour ne pas en compter deux fois… C’est bon, on a fixé les définitions, on peut commencer.
On redit comment on utilise les polydrons (et que non on ne leur donnera pas !) Ils en ont chacun quatre devant eux — même les accompagnateurs vont jouer le jeu jusqu’au bout avec, de temps en temps, l’aide de leur enfant qui vient leur montrer que faire.
Ils construisent un tétraèdre et ils l’appellent « pyramide », un élève vient au tableau avec le sien, compte le nombre de faces, de sommets et d’arêtes, je note au tableau et on distribue un triangle de plus.
Très vite, ils disent : « Y a pas la place pour faire un solide sinon il aura un trou ». On se contente de cette réponse pour dire que ce n’est pas possible, certains vont plus loin en observant qu’ils pourront pour 6 mais pas pour 7. On redonne des triangles et ils testent.
On leur donne la consigne (la même qu’aux 5es) et au travail !
On passe notre temps à essayer de leur faire compter les arêtes, les faces et les sommets. Ils ont bien plus d’imagination dans leurs constructions et se retrouvent très rapidement à ne plus pouvoir dénombrer sans faire d’erreurs. Le tableau est complet, on en fait un deuxième, la collection de la classe augmente… C’est tout autant le bazar mais tous travaillent, ils s’aident : un premier tient le solide, le deuxième compte et le troisième met ses doigts comme repères. C’est difficile de trouver des noms mais ceux qu’ils choisissent veulent dire plus de choses sur la forme des solides construits qu’en début de matinée. Une autre difficulté est de vérifier si on peut mettre un solide dans la collection : savoir s’il est nouveau ou s’il y est déjà.
Il est plus que temps de s’arrêter, on prend le temps de regarder la collection, de voir qu’il y a plusieurs solides à 8 faces, 10 faces et on en même plusieurs à 12 faces. Ils regardent le tableau, ils s’aperçoivent que pour deux solides avec le même nombre de faces, on a le même nombre de sommets et d’arêtes.
On n’a pas le temps de donner plus d’explications, mais ils sont très contents de leur travail. L’heure du pique-nique a sonné, tant pis pour le pliage !
Merci aux CE1, vous avez vraiment bien travaillé et… désolée d’avoir détruit votre collection avant que vous ayez tous quitté la salle, d’autres classes attendaient les polydrons après vous…
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