Bandeau
APMEP Île-de-France
de la maternelle à l’université

Site de la Régionale APMEP Île-de-France

L’oral en mathématiques chez nos voisins : en Suède
Article mis en ligne le 23 décembre 2019
dernière modification le 11 août 2023

par Luca Agostino

La pratique de l’oral en mathématiques en Europe

Dans le cadre de la réforme du lycée, une place très importante est accordée à la pratique de l’oral en mathématiques. Alors que beaucoup d’interrogations sur comment entraîner et préparer les élèves à une épreuve de mathématiques à l’oral se posent en France, plusieurs pays européens mettent déjà en pratique des situations d’apprentissage et d’évaluation à l’oral tout à fait intéressantes, voire étonnantes.

Dans cette rubrique nous analyserons, mois après mois, certaines approches du travail des mathématiques à l’oral développées dans d’autres pays.

 

Rencontre à Stockholm, Suède

Le 28 novembre 2019, je rencontre Linda, ex-professeure de mathématiques, aujourd’hui formatrice, sous un magnifique ciel bleu dans un très beau quartier de Stockholm. Elle m’invite à la suivre dans son bureau dont la chaleur me réconforte du froid qui est déjà très prononcé ici dans la Venise du Nord.

Ils sont cinq collègues ce matin-ci autour du bureau : des enseignants de différentes disciplines qui s’occupent du suivi de jeunes enseignants affectés en premier poste dans la municipalité de la capitale. Je comprends qu’ils jouent le rôle de nos enseignants à temps partagé des INSPÉ (Institut National Supérieur du Professorat et de l’Éducation) et la conversation s’envole très rapidement sur le système de recrutement des enseignants puis, plus précisément sur l’enseignement des mathématiques dans les collèges et les lycées.

C’est en dégustant d’excellents gâteaux suédois que je découvre un système éducatif très peu centralisé, avec un recrutement des enseignants fait par les chefs d’établissements et des programmes scolaires qui varient en fonction des choix des proviseurs et enseignants. J’ouvre grand les yeux quand on m’explique que le salaire des enseignants se négocie et que les professeurs de mathématiques sont les mieux payés car ils sont rares et peuvent facilement faire pression sur les chefs d’établissement. La discussion est passionnante et déroutante en même temps.

En effet, le seul objectif commun du système éducatif est la passation de plusieurs examens de fin de cycle dont le taux de réussite atteste du bon fonctionnement de l’établissement et par conséquent de la quantité de fonds publics qui lui seront destinés.

 

Une épreuve orale de mathématiques aux examens

On me sert une deuxième tasse de café pendant que je demande plus de détails sur les programmes de mathématiques et la pédagogie en classe, quand Linda évoque l’épreuve orale de mathématiques aux examens.

Elle me montre une page web regroupant les anciens sujets d’examens qui sont proposés aux élèves tout au long de leur scolarité (l’årskurs 6 que nous allons analyser correspond à une fin de sixième). Pour chaque examen d’évaluation, l’épreuve de mathématiques est organisée en quatre moments Delprov A, B, C, D chacun consacré à tester des compétences distinctes de l’apprentissage des mathématiques.

C’est la Delprov A qui attire mon attention : elle a comme objectif de tester les capacités de l’élève à conduire un discours argumenté et à commenter les explications mathématiques fournies par des pairs.

L’épreuve dure 30 minutes. Lors de cette épreuve, les élèves sont répartis en groupes de trois ou quatre et on leur fournit un problème avec des annexes. Les sujets sont nationaux et conçu par une commission ministérielle. Chaque élève du groupe a une « mission » qui lui est confiée par l’enseignant examinateur (qui est l’enseignant de la classe).

Dans un premier moment chaque élève réfléchit à sa mission puis partage ses résultats avec les camarades du groupe qui doivent, à partir des explications apportées par l’élève, valider ou pas sa réponse.

Voici, ci-dessous, un exemple de problème ainsi que les documents annexes proposés. Et en cliquant sur le lien, un deuxième exemple, en suédois cependant, vous donnera aussi des exemples de niveau 3e équivalents.

Problème : Chaque élève est en charge d’étudier la population d’un immeuble de la ville. En vous appuyant sur les diagrammes fournis, répondez aux questions suivantes.

Combien de femmes vivent dans "votre" maison ?

Combien de personnes vivent au total dans "votre" maison ? Notez combien de personnes vivent dans chaque maison sur votre feuille à coté des graphiques circulaires.

Examinez les loisirs de "votre" maison. Combien de personnes ont chacun des loisirs ?

Comparez la High-Rose Block et le Brick Building. Y a-t-il autant de personnes dans les deux maisons qui pratiquent du sport ?

Comparez le High-Rose Block et le Brick Building. Y a-t-il autant de personnes dans les deux maisons qui écoutent de la musique ?

Comparez le Brick Building et la Grande Villa. Y a-t-il autant de personnes dans les deux maisons qui s’ occupent d’ animaux domestiques ?

Les immeubles doivent être rénovés. Pour ce, la moitié des habitants de chaque maison déménage. Comment les graphiques circulaires seront-ils affectés ?

Vingt femmes intéressées par le sport déménagent dans le Brick Building. Comment le graphique circulaire sera-t-il affecté ?

Dix personnes emménagent à Row House. Cinq d’entre-elles sont intéressées par l’informatique et cinq d’entre elles ont des animaux domestiques comme leur plus grand intérêt de loisirs. Comment le graphique circulaire sera-t-il affecté ?

Six personnes intéressées par la musique quittent la Large Détacher House. À leur place deux personnes qui aiment lire des livres emménagent. Comment sera affecté le graphique circulaire ?

Les élèves travaillent en autonomie puis en groupe et l’enseignant passe les écouter, voire les aider s’il constate que le groupe est complètement bloqué. Concernant la composition du groupe, l’enseignant est libre de choisir les élèves sur la base de leur niveau, sachant que les indications nationales suggèrent de constituer des groupes plutôt homogènes d’élèves.

 

L’évaluation de la production orale

En même temps que l’énoncé, une grille d’évaluation est fournie à chaque enseignant-examinateur par le ministère. La grille permet à l’enseignant de situer les compétences mathématiques de l’élève. Elle tient compte de sa production orale lors de l’épreuve et de ses échanges au sein du groupe. Pour cela, des exemples de réponses-type sont donnés : les consignes de passation précisent que ces réponses-type doivent être utilisées comme suggestions à l’évaluation et, en aucun cas comme des réponses attendues.

L’évaluation se fait selon quatre critères :

  • Connaissances : degré auquel l’élève montre une connaissance des concepts mathématiques et de leur relation.
  • Problem Solving : qualité des stratégies utilisées par l’élève. Dans quelle mesure l’élève interprète les résultats et tire des conclusions ?
  • Raisonnement : la qualité des analyses, conclusions et réflexions de l’élève et d’autres formes de raisonnement mathématique.
  • Communication : la qualité du compte rendu de l’élève. Dans quelle mesure l’élève utilise-t-il les formes d’expression mathématiques (langage et représentation).

Pour chacun de ces items, la grille propose trois niveaux d’appréciation. Voici, par exemple, les trois niveaux pour la compétence Communiquer :

  • Niveau 1 : l’élève s’exprime avec un langage mathématique simple, il est possible de suivre le raisonnement.
  • Niveau 2 : l’élève s’exprime avec un langage mathématique approprié, la pensée est facile à suivre.
  • Niveau 3 : l’élève s’exprime avec confiance et utilise un langage mathématique approprié et correct.

Au delà de l’avis personnel que chacun parmi nous peut porter sur l’efficacité ou pas d’une telle évaluation, ce que j’ai trouvé remarquable est la place que la production orale a dans la scolarité de l’élève. Le fait qu’on soit évalué à chaque examen national sur une épreuve orale collective et que cette épreuve soit, pour chaque matière, la première dans l’ordre de passation nous montre bien toute l’importance qui lui est accordée et nous laisse imaginer la fréquence soutenue à laquelle les élèves doivent pratiquer ce type d’activité.

De plus, le fait de faire passer aux élèves une épreuve collective à l’oral nous suggère que cette pratique n’est pas vécue, ni apprise, selon un schéma de type « khôlle » comme on en retrouvera dans d’autres pays. Le cœur de la démarche n’est pas de faire résoudre à chaque élève un exercice au tableau, mais plutôt de tester le fonctionnement de la transmission orale des connaissances propres à chaque élève à ses pairs dans un objectif de résolution de problème collectif.

 

De nombreux questionnements

Avec la promesse d’un retour à Stockholm pour assister à des séances de travail en préparation de cette épreuve, je dis au revoir à Linda et je prends l’avion pour rentrer à Paris le soir, avec beaucoup d’interrogations sur cette découverte.

Nombreux sont les questionnements sur sa faisabilité chez nous, ainsi que sur son efficacité pour chaque élève : comment s’assurer que le résultat de cette épreuve ne soit pas dépendant du groupe ? Quid de l’évaluation à l’oral de ses propres élèves dans un contexte de classe absolument pas neutre et marqué, positivement ou non, par un travail d’un an voire plus ?

 

article suivant



retour au sommaire

Les Chantiers de Pédagogie Mathématique n°183 décembre 2019
La Régionale Île-de-France APMEP, 26 rue Duméril, 75013 PARIS